John Kerry cherche un traducteur, l’Algérie cherche un arbitre

Faut-il s’inquiéter que John Kerry soutienne un quatrième mandat, ou faut-il s’inquiéter de voir l’Algérie réduite à envisager un arbitrage externe sur des questions aussi sensibles ?

Abed Charef

Toute l’Algérie s’est mise à l’anglais, jeudi dernier, à la suite de la visite effectuée à Alger par le secrétaire d’Etat américain John Kerry. L’enjeu : comprendre exactement ce qu’a dit M. Kerry, pour savoir si les Etats-Unis soutiennent le quatrième mandat auquel est promis le président Abdelaziz Bouteflika ou non. Linguistes, traducteurs, hommes de lettres et politologues ont été sollicités pour traduire celle formule, look forward, utilisée par le secrétaire d’Etat américain. Voulait-il dire qu’il souhaitait des élections transparentes, qu’il les exigeait, qu’il les préférait, ou qu’il se félicitait de la transparence des élections?

S’il s’en félicitait, cela signifierait qu’il avalisait l’opération électorale. S’il souhaitait ou espérait un scrutin transparent, il faudrait comprendre qu’il avait quelques doutes, mais qu’il n’insisterait pas trop. Par contre, s’il disait, sur un ton grave, qu’il préférait un scrutin transparent, il montrerait clairement que le 17 avril manquerait aux normes de transparence requises. Attendre une élection transparente, et s’attendre à une élection transparente, sont deux choses différentes, rappelait hier encore un éditorialiste.

L’affaire a pris une tournure délicate pour l’agence APS, accusée de déformer les propos du secrétaire d’Etat américain. Le journaliste de l’APS qui a couvert l’évènement a du passer un moment délicat, et personne ne l’a cru quand il a mis en cause le traducteur américain. Comment mettre en doute la machine américaine, réputée infaillible en de telles circonstances ? Difficile, en outre, pour un public algérien, qui a toutes les raisons d’être sceptique, de mettre en balance un journaliste de l’APS et le traducteur de John Kerry himself. Jusqu’à ce que le département d’Etat apporte les précisions nécessaires, en reconnaissant implicitement les approximations de son traducteur.

L’affaire Benouari

L’affaire tombait d’autant plus mal, qu’elle venait après une polémique suscitée par un appel de M. Ali Benouari, candidat à la candidature et ancien ministre, demandant aux Etats-Unis et à l’Europe de sanctionner les dirigeants algériens en cas de fraude. M. Benouari a suggéré de saisir les biens des dirigeants algériens, et de leur interdire, ainsi qu’à leurs proches de voyager, en Europe et aux Etats-Unis si la fraude se confirmait. Une extrémité à laquelle personne ne s’était résolu jusque-là. Ce qui a eu un effet collatéral inattendu : M. Ali Benflis, auquel M. Benaouri avait apporté son soutien, s’est trouvé contraint de se démarquer des propos de ce dernier, et d’affirmer que ces propos n’engageaient que leur auteur.

Ce côté, plus ou moins folklorique de la campagne électorale, est cependant révélateur d’évolutions dangereuses dans la vie politique du pays. A commencer par le poids, accepté, sinon assumé, du point de vue américain dans la vie politique du pays. Certes, les Etats-Unis sont une grande puissance qui a le droit et la force nécessaire pour défendre ses intérêts, mais une partie de l’opinion algérienne admet désormais que les Etats-Unis ont droit de regard sur ce qui se passe en Algérie. Plus grave encore, des parties sollicitent Washington, légitimant de fait ce droit de regard. Sans aller l’hystérie de Louisa Hanoun, cette évolution est dangereuse.

Le précédent libyen

La situation est aggravée par le délitement sans fin de la vie politique. Comme s’il n’y avait plus en Algérie aucune limite, aucune contrainte, aucune obligation. Comme si l’exercice des libertés autorisait toutes les dérives. Comme si aucune institution n’était en mesure de parler à l’ensemble des Algériens pour rappeler les uns et les autres à un minimum commun. L’appel à l’arbitrage américain, aujourd’hui restreint et accueilli avec désapprobation, peut devenir banal et souhaité. Il suffit de se rappeler comment l’opinion libyenne et arabe, fortement manipulées, ont applaudi l’intervention de l’OTAN en Libye. Et cet arbitrage,  américain aujourd’hui, français ou saoudien demain, n’est possible qu’en l’absence d’une institution algérienne en mesure d’arbitrer. Plus les institutions algériennes perdent de leur crédibilité, plus cet arbitrage apparaitra comme inévitable, puis souhaitable, voire nécessaire.

Evidemment, c’est au peuple que devrait revenir ce rôle d’arbitre. Mais dans la conjoncture actuelle, la volonté populaire ne peut s’exercer librement. Les structures de représentation sont faussées, les institutions biaisées, et l’opinion, fortement manipulée, est en plein désarroi. Ce qui devrait inciter à y remédier en deux temps. Dans une première étape, faire avec ce qui est disponible, pour tenter de réunir les conditions nécessaires à un libre exercice de la volonté populaire ; dans un dixième, reconstruire les institutions pour que le recours à un arbitrage étranger soit perçu comme une trahison. Et pour l’heure, où qu’on se tourne, on ne trouve qu’un seul arbitre potentiel, l’armée, qui doit se réapproprier se rôle pour le confier au peuple très rapidement.

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