Par Abed Charef
Le président de la République a de moins en moins d’influence sur la vie politique du pays. Il a annoncé des projets pour se faire réélire, mais ne les a pas tenus. Il s’est adressé aux citoyens les plus défavorisés pour leur promettre dignité et respect, mais le fonctionnement du système politique l’empêche de trouver le moindre levier pour orienter, selon ses choix, le cours des choses. Comble de malchance, il s’est trouvé affaibli par la maladie, ce qui installe une atmosphère de fin de règne dans le pays.
Le pays en question n’est pas l’Algérie. Il s’agit de la France. Ce thème a occupé une place centrale dans le débat politique français cette semaine. Mais le parallèle est frappant entre le parcours de deux chefs d’état arrivés au crépuscule de leur carrière, hospitalisés tous les deux au même endroit, l’hôpital des armées françaises. Là où un illustre militant, Yasser Arafat, terminait ses jours il y’a tout juste un an.
Jacques Chirac avait promis de réduire la « fracture sociale » et promis la dignité à « la France d’en bas ». Abdelaziz Bouteflika avait promis dignité et fierté, avait demandé aux Algériens de relever la tête (arfaa rassek yabba), et promis la réconciliation entre Algériens. A quelques nuances près, c’est le même programme. Mais au bout du compte, Chirac a eux les banlieues pour lui signifier son échec. Quanr à Bouteflika, en plus des émeutes quotidiennes de la périphérie, il s’est empêtré dans les clans et la bureaucratie, pour se noyer dans des scandales financiers sur lesquels il n’a pas d’emprise.
Le chef de l’état français est soumis à une rude pression, dominée d’abord par les appétits de ses successeurs potentiels, qui se livrent bataille sous ses yeux, alors que lui-même essaie de sauver les meubles en se frayant une sortie dans la dignité. Entraînés dans une surenchère, les aspirants à sa succession mènent la France de plus en plus droite, pour espérer être au bon endroit, au bon moment, lorsqu’il sera temps de gravir les marches de l’Elysée en vainqueur.
Abdelaziz Bouteflika subit, lui aussi, le poids des ambitions liées au pouvoir. Même si elles ne sont pas aussi aigues que celles imposés à Chirac, elles risquent de connaître une sérieuse accélération avec sa maladie. Il doit également tenir compte d’autres appétits, plus destructeurs, ceux liés à la rapine et à la rente de manière plus générale.
Les appareils politiques auxquelles doit faire face Bouteflika poussent eux aussi encore plus à droite. La libéralisation à outrance prônée dans tous ses cercles ne tient guère compte d’une large frange de la société, laissée sur le bord de la route, et qui ne trouve que l’émeute comme exutoire et forme d’expression.
On peut encore avancer d’autres similitudes, mais ce sont pourtant les différences qui sont les plus frappantes. La France est un pays structuré, organisé, capable de faire face et sortir mieux armé d’une crise. L’économie française a peu souffert des émeutes, et la classe politique tente de comprendre et d’apporter des problèmes à une situation qu’elle n’a pas anticipée.
A l’inverse, l’Algérie est un pays déstructuré, avec une société en lambeaux et des institutions en miettes. La réflexion y est pratiquement absente. Non à cause d’une quelconque incapacité génétique ou de la pauvreté, mais parce le système politique en place interdit le débat. Il ne suffit pas d’organiser quelques colloques entre bureaucrates, en y invitant des personnalités étrangères, ou de quelques tribunes dans les journaux, pour prétendre au débat. Celui-ci nécessité un organisation de fond, pour le structurer et en faire un moteur de l’action politique.
C’est pour cette raison peut-être qu’une partie de la France, celle qui est la plus rétrograde, la plus réactionnaire, la plus abjecte, continue de narguer l’Algérie. Cette France qui glorifie le colonialisme ne se limite pas à l’extrême droite. Elle s’étend bien au-delà, pour englober des personnalités reçues avec faste à Alger. Plus grave encore, elle recrute. Et pas n’importe qui. Des « philosophes » lui font allégeance, comme Alain Finkielkraut, pour s’en prendre aux noirs et aux arabes, des hommes de lettres et des personnages naguère considérés comme représentatifs du « français moyens ».
Cette France là est, certes, puissante. Mais elle est également puissante par la faiblesse de ses partenaires. Après tout, depuis dix ans, dans les élections présidentielles françaises, l’Algérie affirmé sa préférence pour les candidats de droite, historiquement liés aux partisans de l’Algérie française, aux détriments de ceux de gauche, en général plus favorables à l’indépendance. Plus tard, elle a fait du traité d’amitié entre les deux pays un thème de politique majeur, alors qu’une question centrale, celle de savoir si la colonisation est un crime contre l’humanité ou une œuvre « positive », ne fait pas encore l’objet d’un consensus.
Mardi dernier, la France a tranché cette question. Elle persiste et signe. Son instance la plus représentative, l’Assemblée Nationale, a refusé de changer la loi du 23 février 2005 qui fait l’éloge de la colonisation. La veille de ce vote, j’ai relu quelques passages sur les exploits réalisés par les généraux Pélissier et Saint-Arnaud dans le Dhahra, cette lointaine contrée qui m’est si proche : c’est là que se trouve mon douar. J’ai essayé d’imaginer ce qu’y fut « l’œuvre positive » de la France, sachant que l’acte français le plus célèbre dans cette région se résume en un mot : enfûmades.
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