Quatre plaies de l’économie algérienne révélées par la Banque d’Algérie

 

Le rapport présenté dimanche par M. Mohamed Loukal, gouverneur de la Banque d’Algérie, révèle quatre grandes plaies de l’économie algérienne.

Abed Charef

 

Dans le flot de chiffres cités par M. Mohamed Loukal, gouverneur de la Banque d’Algérie, sur la situation économique et financière du pays durant l’année 2016, quatre évolutions intriguent par leur ampleur et leurs implications. Il s’agit de la baisse des réserves de change, qui inquiètent plus par son rythme que par son niveau ; de la parité du dinar, qui reprend des couleurs face à l’euro alors que la situation de l’économie algérienne ne le justifie pas ; des 4.3 milliards de dollars qu’aura couté la conversion des réserves algériennes en dollars, une information noyée dans une profusion de chiffres, alors qu’elle mérite des explications approfondies ; et enfin, l’échec des opérations visant à bancariser l’argent informel.

Les réserves de change ont baissé de 29.9 milliards de dollars durant l’année 2016, contre une baisse de 34 milliards durant l’année 2015, et 34.9 milliards en 2014. Elles sont passées de 178,94  milliards fin 2014 à 144 milliards fin 2015, et 114.1 milliards à fin 2016. Cette évolution donne une baisse moyenne supérieure à 30 milliards de dollars par an. Au rythme actuel, les réserves de l’Algérie fondent à un rythme de 2.5 milliards de dollars par mois.

Conjoncture mitigée

La baisse du prix du pétrole a eu un poids décisif dans cette évolution, mais sur d’autres terrains, la conjoncture était plutôt favorable. En 2016, la baisse des réserves de change a été atténue par l’effet conjugué de quatre facteurs : une légère embellie du prix du pétrole au quatrième trimestre, qui poussé le prix au-dessus de la barre des 50 dollars, la hausse du dollar, une baisse des prix des produits importés, et des restrictions sur les importations qui ont provoqué une baisse du volume des importations.

Au rythme actuel, les réserves de change seraient épuisées dans un délai de quatre ans. L’évolution ne sera pas linéaire, en raison de multiples paramètres, mais le gouvernement dispose de peu de leviers pour en infléchir la courbe. Importations incompressibles pour acheter la paix sociale et assurer l’approvisionnement de l’appareil de production ; croissance faible, sous la barre des trois pour cent ; difficultés de relancer une production nationale, qui dépendra largement des importations : tous ces facteurs ne permettent d’envisager un retournement dans l’immédiat.

Le dinar se maintient, contre toute logique

Quant au dinar, il a baissé de 2.94 % par rapport au dollar et de 4.64 % par rapport à l’Euro au cours du premier semestre de 2016. Ensuite, la monnaie algérienne est restée stable par rapport au dollar, qui coûtait 110.6 dinars en mai et 110.5 dinars à fin décembre 2016, malgré une forte hausse du dollar sur le marché des devises. Face à l’euro, le dinar a même gagné du terrain, passant de 124.1 dinars pour un euro à 116.3 dinars pour un euro. Sur l’exercice précédent, le dinar avait perdu près de 20% de sa valeur par rapport aux principales monnaies européennes.

Cette stabilité du dinar s’explique essentiellement par le revirement de la Banque d’Algérie, passée d’une gestion relativement serrée durant la période Laksaci à une gestion très accommodante entamée avec l’avènement de Mohamed Loukal. Celui-ci a docilement accompagné la gestion du gouvernement qui, pour éviter une hausse de l’inflation importée, a maintenu la monnaie algérienne à un niveau largement déconnectée de la réalité économique du pays. Sur le marché parallèle, le dinar a encore creusé l’écart. Il s’échange au-dessus de 180 dinars pour un euro, contre 160 une année auparavant.

Une conversion coûteuse

Sur un autre chapitre, M. Loukal a indiqué que la conversion des réserves de change a coûté 4.3 milliards de dollars. Cela signifie les réserves algériennes ont diminué de près de 3.3% du simple fait des variations de la valeur des monnaies dans lesquelles elle était libellée.

Etait-il possible d’anticiper ces évolutions et d’éviter cette dégradation? Difficile à dire. Un économiste, plutôt critique envers le gouvernement, ne trouve rien à redire sur cette situation. Il se contente de rappeler que le choix de l’Algérie est de rechercher des garanties, en partageant les réserves entre plusieurs monnaies et l’or. « C’est une stratégie sans risque majeure, elle est défendable », dit-il.

Echec face à l’informel

Dernier élément, passé presque inaperçu : la monnaie fiduciaire a encore augmenté entre 2014 et 2016, passant de 26.7% à 32.3%. Dans le même temps, la masse monétaire restait pourtant stable. Elle a évolué d’à peine 0.1%.

Ces chiffres signifient clairement que la politique engagée pour pousser l’argent informel vers les circuits officiels a été un fiasco. La situation s’est même aggravée, même si la hausse de la monnaie fiduciaire ne signifie pas de manière mécanique une augmentation de la part de l’informel dans l’économie.

Deux grandes opérations avaient été pourtant menées sur ce terrain. L’ancien ministre des finances Abderrahmane Benkhalfa avait parié sur la « conformité fiscale », lancée durant l’été 2015, pour attirer vers les banques l’argent dormant, contre une pénalité fiscale de sept pour cent. Le bilan de l’opération a été si faible qu’il n’a pas été rendu public.

Une seconde opération, permettant de bancariser l’argent informel contre rémunération, allant jusqu’à 5 pour cent, a été lancée ensuite. Avec un résultat similaire. Est-ce le résultat de la méfiance des opérateurs de l’informel envers le circuit bancaire ? Est-ce une volonté délibérée de continuer à activer en dehors du champ officiel pour échapper aux taxes et impôts ? Ou bien est est-ce l’inefficacité du système bancaire qui est en cause ? Le gouvernement n’a pas encore apporté de réponse.

Face aux excès de Donald Trump, «l’autre Amérique» se réveille

Article publié sur le site maghrebemergent.info

http://bit.ly/2jKadPF

Main étrangère et bêtise nationale

Main étrangère et bêtise nationale

 

Pourquoi une banale déclaration d’un dirigeant étranger a une si forte résonnance en Algérie ?

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, 26 janvier 2017)

 

Ils viennent de loin. De l’autre côté de la mer, voire de l’autre côté de l’océan. Ils nous regardent, ils nous jaugent, ils nous auscultent, ils nous étudient, et ils nous disent ce que nous sommes, où nous en sommes. Personnalités politiques, économistes, représentants d’institutions internationales ou d’ONG se relaient pour nous dire des choses parfois flatteuses, parfois désagréables.

Evidemment, la télévision officielle et le vénérable El-Moudjahid se délectent pour, soit dénoncer les « nostalgiques d’un temps révolu », soit ressortir les passages les plus flatteurs, et dire aux sceptiques que l’Algérie ne se porte pas si mal, qu’elle a amélioré ses statistiques, et que les efforts engagés dans le cadre du programme du président Bouteflika se poursuivent « malgré des insuffisances ». Les textes sont traités au scalpel, pour y dénicher les éléments flatteurs, pendant que le reste est soigneusement occulté.

Mais il n’ya pas qu’El-Moudjahid à exceller dans cette gymnastique, dans laquelle chacun trouve son compte. Le Temps, journal de Ali Haddad, président du FCE, a ainsi largement repris une interview du même Ali Haddad, accordée au « think tank » Oxford Business Group.

Ce genre de publication a cependant peu d’intérêt. Trop proche du pouvoir, pas assez de distance, et donc peu crédible. A l’inverse, les paroles prononcées par les représentants d’institutions internationales ou ONG reconnues pour leur indépendance, ainsi que celles de responsables étrangers, avec des intérêts bien identifiés, sont plus significatifs.

Des secrets connus de tous

Mercredi 25 janvier, c’est l’ambassadrice des Etats-Unis, Joan A. Polaschik, qui nous jetait des fleurs. L’Algérie est un « partenaire très important », nous a-t-elle dit, dans une interview publiée par le quotidien El-Watan, ajoutant que l’Algérie a « fait de belles choses ». Mme Polaschik nous assure que les Etats-Unis sont « reconnaissants de tout ce que fait l’Algérie pour promouvoir la paix dans la région ». Merci, n’en jetez plus.

De par sa fonction, l’ambassadrice des Etats-Unis à Alger est tenue à ce rôle. Même si, dans au détour d’une phrase, elle nous rappelle une menace qui pèse sur l’Algérie: « il est nécessaire que votre pays reste stable », dit-elle.

Cette menace sur la stabilité du pays avait été longuement évoquée, la veille, par un député et ex-ministre français. Dans un autre style différent, celui du parlementaire qui travaille pour préparer un rapport pour son propre gouvernement, soucieux à la fois de bien servir son pays mais de conserver des contacts amicaux avec le pays qui l’a accueilli, le député PS Jean Glavany affirme crûment que la situation politique en Algérie, comme celles des autres pays du Maghreb, est « fragile », et qu’elle « mérite d’être confortée ». Dans un entretien au journal Liberté, il souligne que l’Algérie subit des « tensions politiques, économiques et sociales », qu’il « y a de grands points d’interrogation pour l’avenir », et que « l’état de santé des dirigeants (maghrébins) pèse sur cette fragilité ». Il s’en inquiète parce qu’il « y a, au Maghreb, un enjeu majeur pour la France et l’Europe ».

Autre visiteur non souhaité, Transparency International a mis le pied dans le plat, mercredi, en publiant son rapport annuel dans lequel, sur 176 pays recensés, elle classe l’Algérie à la 108ème place dans le domaine de la corruption. Le classement 2015, établi sur 168 pays, plaçait l’Algérie au 88ème rang. C’est donc un recul net, qui contredit le discours officiel sur la lutte contre la corruption.

Où on retrouve la main étrangère

Pourquoi ces déclarations, émanant d’ailleurs, ont-elles un résonnement aussi fort dans le pays?  Après tout, la corruption n’est pas une découverte pour les Algériens. L’état de santé du président Bouteflika, l’incertitude sur sa succession, la fragilité des institutions, et l’âge du président Beji Caïd Essebsi ne sont pas des sujets inconnus au Maghreb. La seule révélation concerne peut-être le Roi Mohamed VI, qui serait victime d’une maladie à évolution lente. Mais même cela, ce n’est pas vraiment une révélation. Les initiés le savaient, ou s’en doutaient depuis longtemps.

Ce qui fait la force de ces chiffres et de ces appréciations venues de l’étranger, ce n’est pas tant leur précision ou leur caractère « secret », c’est d’abord l’absence de crédibilité de l’information algérienne. Les institutions et les responsables politiques algériens qui émettent toutes sortes de messages ne sont pas fiables. Une appréciation du ministère des finances ne pèse pas grand-chose face à une donnée émise par le FMI ou la Banque Mondiale. Comment peut-on prendre au sérieux des chiffres émis par l’administration de la santé quand le ministre en fonction affirme que les hôpitaux algériens sont mieux équipés que ceux d’Europe ? Comment peut-on croire à la viabilité d’une politique agricole, ou même établir une politique agricole viable, quand la production de céréales baisse de 20 pour cent juste parce que le nouveau ministre refuse d’avaliser les chiffres truqués laissés par son prédécesseur?

Ce n’est pas la main de l’étranger qui est dangereuse. C’est l’aveuglement de la main algérienne qui lui donne cette influence. A un point tel que l’opinion algérienne peut être façonnée par n’importe quelle main étrangère suffisamment habile pour exploiter la bêtise nationale.

En voulant réorganiser le monde, Donald Trump fait vaciller l’Europe

 

Donald Trump entame sa présidence en fanfare. Il préconise une nouvelle matrice pour fonder les relations internationales, et provoque déjà un séisme en Europe.

Abed Charef

 

L’Europe subit un séisme politique sans égal depuis la chute de l’URSS. Il a suffi d’une interview du nouveau président américain Donald Trump à deux journaux, pour que les fondements sur lesquels l’Europe a été bâtie depuis la fin de la seconde guerre mondiale soient ébranlés.

Pour annoncer son projet qui menace, ni plus ni à moins, de détricoter l’Europe, Donald Trump a choisi deux journaux des pays de ses parents : l’un, britannique du pays de sa mère, écossaise ; l’autre allemand, du pays de son père. Il rend hommage au choix du premier, avec le Brexit, et pourfende le second, qui se veut le cœur de l’Europe. Le nouveau locataire de la Maison Blanche a prévoit que d’autres pays vont suivre la Grande-Bretagne. Pour lui, les choses sont claires : une bonne Europe, c’est une Europe désunie, sur laquelle les Etats-Unis peuvent exercer plus facilement leur domination.

Il s’est aussi violemment attaqué à Angela Merkel, lui reprochant d’avoir sa politique d’accueil des migrants, mais lui reprochant surtout d’être le principal bénéficiaire de la construction européenne, sans donner suffisamment en contrepartie. Second exportateur mondial, l’Allemagne a organisé l’Europe, notamment les anciens pays de l’est, comme un vaste réseau de sous-traitants et de clients pour son industrie, les donnant juste de quoi leur permettre d’acheter des produits allemands, selon une image très répandue chez les détracteurs de Mme Merkel.

Sur ce deuxième point, Donald Trump a touché un point sensible. La plupart des pays européens admettent, sans pouvoir le dire publiquement, que la politique économique et financière de l’Allemagne les met sous pression. Mais jusque-là, ils subissaient cet état de fait sans pouvoir réagir, car ils n’avaient pas d’alternative meilleure. Il faut ajouter que beaucoup en tiraient profit. Un peu comme tous les pays qui subissent les effets de la politiques des Etats-Unis, sans réagir, car ils vivent dans un paradoxe : ils en sont dépendants, certes, mais ils en tirent largement profit à la fois.

Rivalité économique ou militaire ?

Tout en critiquant cette « Europe allemande » de Mme Merkel, Donald Trump courtise la Russie de Vladimir Poutine, qu’il considère toujours comme un rival, parfois comme un ennemi, mais avec laquelle il veut établir une relation d’un type nouveau. Il ne veut pas entrer systématiquement en conflit avec la Russie, comme le faisaient les administrations précédentes. Pragmatique, il préfère plutôt trouver des terrains d’entente, et même de coopération, comme c’est le cas actuellement en Syrie et dans la lutte contre le terrorisme de manière générale. Ce n’est pas un hasard si un porte-parole de la Maison Blanche a envisagé d’étendre cette coopération américano-russe en Syrie dès la première semaine de la présidence Trump.

Aux yeux du nouveau président américain, le grand rival, ou ennemi, de demain, c’est la Chine, seconde puissance économique mondiale, non la Russie. Celle-ci, puissance militaire, n’est pas une rivale sur le terrain de l’économie. Elle n’atteint même pas le poids de l’Allemagne en termes de PIB, alors que les produits chinois ont envahi l’Amérique et le monde, et que la Chine détient près de 2.000 milliards de dollars de dette américaine.

Trump a, sur le terrain de la production de biens, une vision qui peut apparaitre obsolète. Il est obsédé par « l’économie manufacturière ». L’Allemagne lui parait plus dangereuse que la Russie, comme l’illustrent ses propos sur les produits allemands. Sur la cinquième avenue à New-York, on peut trouver de nombreux Américains roulant en Mercedes, a-t-il déclaré dans une première pique contre l’Allemagne. Par contre, a-t-il déploré, en Allemagne, on ne trouve pas de Chevrolet…

Nouvelle vision

Une nouvelle matrice de la politique étrangère américaine est donc en train d’émerger avec Donald Trump. Jusque-là, les Etats-Unis, hyper-puissance, voulaient maintenir une supériorité sur la Russie, en s’appuyant sur une Europe viable sur le plan économique et intégrée à l’OTAN sur le plan de la défense. La Chine était perçue comme un pays émergent, mais ne représentant pas une menace immédiate. Sa forte présence économique devait être contenue par le biais d’un traité trans-pacifique.

La nouvelle matrice de la politique étrangère américaine place donc la Chine comme premier rival. Dans cette optique, le plus grand danger serait de voir Chine et Russie se rapprocher davantage : les deux pays se concertent déjà au sein des BRICS, et la Russie est devenue en 2016 le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Cette tendance est insupportable pour Donald Trump. Elle réduirait, à terme, les Etats-Unis à un second rôle, au vu de la puissance économique et démographique de la Chine, et de la puissance militaire, de la géographie et des ressources de la Russie. Il faut donc à tout prix éviter ce rapprochement qui suscite en méfiance extrême envers la Chine. Ce n’est pas anodin : une des premières décisions de Donald Trump a été de signer l’acte de sortie des Etats-Unis du traité trans-pacifique, qui n’est même pas entré en vigueur.

Donald Trump se place donc dans cette optique de freiner un rapprochement sino-russe quand il fait l’éloge de Vladimir Poutine. Il est déjà dans la nouvelle matrice, alors que ses rivaux, et même ses partenaires du parti républicain, sont encore dans l’ancienne matrice. Ce qui explique cette impression de désordre entre les déclarations de Donald Trump et celle de certains de ses nouveaux ministres, qui continuent encore à regarder l’Europe et la Russie selon les dogmes de la seconde moitié du 20ème siècle.

La première sortie de Donald Trump, après son investiture, prend tout sens. Il s’est rendu au siège de la CIA, le temple où est pensée et mise en œuvre l’organisation du monde dans l’optique américaine. Il a voulu rassurer la puissante centrale de renseignement, et dissiper les malentendus nés de l’attitude ouvertement hostile de l’ancien patron de la CIA. Mais il a surtout voulu partager sa propre vision du monde et ses priorités.

Au congrès, dont l’ancien président, républicain, Paul Ryan, lui avait publiquement affiché son hostilité pendant les primaires, il devra également convaincre. Car le congrès est encore largement dominé par les partisans de l’ancienne politique.

L’isolement de Mme Merkel

Dans cette nouvelle configuration envisagée par Donald Trump, l’Allemagne, naguère maître de l’Europe, se retrouve dans une position particulièrement fragile. Tranquillement installée depuis des décennies sous le parapluie nucléaire américain, elle avait poussé ses pions à travers l’Europe, pour construire un espace économique à sa convenance. Elle se retrouve brutalement dans un nouveau monde, d’autant plus inquiétant que Donald Trump pousse le bouchon jusqu’à estimer que l’OTAN est « obsolète ». Comment assurer la sécurité de cet espace européen, l’un des plus prospères au monde, si la couverture de l’OTAN, assumée à près de 70% par les Etats-Unis, venait à disparaitre ? La question a provoqué un vent de panique en Allemagne.

Des proches de Donald Trump tentent de tempérer ces propos. Ils assurent que l’OTAN ne va pas disparaitre, mais changer d’optique. Ils insistent également sur la nécessité des pays membres de contribuer davantage au financement de l’alliance atlantique, en réalisant l’objectif de deux pour cent du PIB consacré à la défense. Ils disent aussi que les attaques frontales de Donald Trump visent à lui permettre de tout renégocier dans de meilleures conditions.

Mais cela ne suffit pas à dissiper les inquiétudes. D’autant plus que le coup de massue arrive dans une période particulièrement agitée, avec l’afflux des migrants, l’irruption du terrorisme en Europe, et l’effet du Brexit, qui montre à l’Europe que rien n’est définitivement acquis, qu’une construction savamment menée depuis plus d’un demi-siècle peut s’écrouler.

De plus Angela Merkel se trouve bien seule. Son premier partenaire, la France, est en zone de turbulence. François Hollande est sur le départ, alors que les décisions urgent. Mme Merkel a reçu lundi 23 janvier François Fillon, favori de la présidentielle française, qui semble mesurer la gravité de la situation. Il a en effet appelé à « un sursaut » de l’Europe, « menacée de disparition ». Elle devrait aussi recevoir le candidat de la gauche, au cas où, pour tenter d’ébaucher une attitude européenne commune en attendant la présidentielle française. Mais d’ici là, c’est à Mme Merkel de porter le fardeau.

Poutine pousse ses pions

La chancelière allemande est d’autant plus troublée qu’elle voit bien que la nouvelle politique américaine, conciliante avec la Russie, se met déjà en place. Déjà, en Syrie, la Russie, avec l’accord, si ce n’est à la demande d’Israël, a fait la guerre que les Etats-Unis ne pouvaient mener. En Méditerranée et en Libye, où l’Europe a prouvé son incapacité contenir la crise, la Russie commence à marquer des points. C’est le signe d’un virage majeur : les Etats-Unis admettent que la Russie est un partenaire non seulement possible, mais souhaité, dans la lutte antiterroriste.

Le nouveau rôle dévolu à la Russie explique peut-être la colère l’intelligentsia française dite de gauche, qui s’acharne contre Moscou et Poutine.  Pourtant, cette lame de fond n’épargne pas la France elle-même : le favori de la prochaine présidentielle française, François Fillon, est l’un des hommes politiques français le plus proche de la Russie. Il est même accusé de « russophilie ». Sans aller jusqu’à dire que c’est le secret de son succès aux primaires de la droite, il n’est pas inutile de noter que François Fillon fait partie de la droite dure, identitaire, partageant une base idéologique commune avec Donald Trump et Vladimir Poutine.

L’Amérique n’est plus toute seule

Ceci dit, Donald Trump n’est pas certain d’imposer cette vision du monde aux institutions américaines et à l’extérieur. Sur le plan interne, il devra d’abord affronter et convaincre l’establishment. Sur ce terrain, il souffre d’un handicap sérieux : Donald Trump n’est pas un homme politique professionnel, et ne connait pas suffisamment les rouages de l’administration et du congrès. Il devra vaincre l’inertie des appareils, qui auront du mal à s’adapter à sa nouvelle vision. Mais il devra surtout marquer des points sur le plan économique et social, pour se donner la force nécessaire en vue d’imposer sa vision à ses partenaires.

A l’extérieur, il devra convaincre l’Europe, ou, plus probablement, la mettre devant le fait accompli. Cela ne se fera pas sans dégâts. Bien qu’elle soit affaiblie, et qu’elle traverse une période difficile, l’Europe reste un espace économique majeur, et l’idée européenne est encore très forte. Mme Merkel a annoncé la couleur : « l’Europe compte sur elle-même », a-t-elle dit. Elle est certaine de trouver de nombreux alliés, qui peuvent se baser sur des données simples : l’espace ouest-européen est prospère, il n’a pas connu de guerre depuis les débuts de la construction de l’Europe, et il a mis en place des mécanismes de négociations complexes mais qui ont fait leurs preuves.

Mais le président américain n’en tiendra probablement pas compte. Personne ne se fait d’illusion : le traité de libre-échange Europe – Etats-Unis (TAFTA), en négociation, ne figure pas dans les projets du président américain, qui a d’ores et déjà annoncé de prochaines négociations pour réviser l’ALENA, un accord déjà solidement implanté pour réguler les échanges entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.

La Chine communiste pour sauver le capitalisme ?

Il faudra surtout surveiller l’attitude de la Chine et de la Russie. Que gagne chaque partenaire dans la nouvelle configuration souhaitée par Trump ? Pour la Russie, la tentation est grande de tirer profit d’un rapprochement avec les Etats-Unis, au moins dans un premier temps. Il sera toujours temps d’aviser plus tard, pour voir si Donald Trump a pour objectif de négocier avec la Russie comme un partenaire de première catégorie, ou de la transformer en un grand pays européen, mais un banal pays européen.

Quant à la Chine, elle joue sur du velours. C’est elle qui défend aujourd’hui la liberté économique, face à une Amérique qui veut revenir au protectionnisme, alors que c’est précisément la liberté de commerce qui a fait la fortune de l’Amérique.  Pour le premier pèlerinage d’un président chinois à Davos, Xi Jinping avait le beau rôle, le 17 janvier, lorsqu’il s’est présenté en apôtre du libre-échange. Il a qualifié de tentative allant « à rebours de l’histoire », « toute tentative de stopper les échanges de capitaux, les technologies et les produits ». « Personne n’émergera en vainqueur d’une guerre commerciale », a-t-il averti. Un discours totalement à l’opposé de ce dit Donard Trump.

La Chine, dernier empire communiste, va-t-elle devenir l’ultime sauveteur du capitalisme mondial, contre le protectionnisme américain? Décidément, l’ère Trump commence d’une manière aussi imprévisible que le nouveau président américain.

Les Frères musulmans pressent les islamistes algériens à unifier leurs rangs

Les Frères musulmans pressent les islamistes algériens à unifier leurs rangs

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Quand l’utilité du vote suscite un doute légitime

 

Le gouvernement met les partis en accusation. Il veut lancer la balle de l’impasse dans le camp de l’opposition.

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 janvier 2017)

Face aux échéances électorales qui se rapprochent, les partis n’ont guère d’alternative. Ils n’ont pas de bon choix à faire. Ils n’ont que des choix moins mauvais que d’autres. Contraints de trancher la délicate question de la participation dans des conditions défavorables, ils se résignent à accepter un fait accompli face auquel ils mesurent leur impuissance.

Participer à une élection est un moment fort dans la vie d’un parti.  Cela permet d’engager un débat politique, de préparer un programme, de recruter, de mobiliser et de faire vivre l’appareil. Cela permet aussi de mesurer son implantation au sein de la société, et ses capacités de lancer de nouveaux talents dans la compétition. Aucun moment n’est aussi favorable à la vie partisane qu’une campagne électorale.

Mais il y a aussi un revers. La préparation des élections donne souvent lieu, dans une démocratie balbutiante, à des querelles incessantes, à des divisions, voire à des conflits qui peuvent déboucher sur des scissions. Car il faut satisfaire des appétits et des ambitions, alors que le nombre de places à pourvoir est forcément limité. La lutte est particulièrement féroce quand il s’agit de candidatures à la députation, qui déclenchent une course forcenée à la représentation.

Tiraillements

Ne pas aller à l’élection, dans de telles conditions, peut laisser des séquelles. Les militants concernés, et notamment les candidats potentiels, se sentent lésés. Ils ont l’impression de rater une opportunité, de passer à côté d’un évènement politique important. Même quand la décision est bien encadrée politiquement, comme ce fut souvent le cas pour le FFS, l’impression de laisser la gestion des affaires du pays à des opportunistes de tous bords ne laisse pas indifférent. Pour des partis en construction, comme Talaiaa eL-Hourriate de Ali Benflis et Jil Djadid de Sofiance Djillali, le sentiment de rater une occasion sérieuse de construire un appareil politique ne peut non plus être éludé, même si la décision est fondée sur de solides arguments politiques.

En tête des arguments qui poussent au boycott, il y a évidemment celui de refuser de cautionner le fait accompli,  d’avaliser une compétition qu’on sait inéquitable, inégale et injuste. Et dans le cas de l’Algérie, à de rares exceptions près, le résultat vote a toujours été prédéterminé. L’urne est une formalité destiné à avaliser une décision prise en amont quand il s’agit de présidentielle, et un moyen d’offrir quelques strapontins aux différentes clientèles et à des opposants qui servent, malgré eux, de caution, quand il s’agit d’élections législatives ou locales. En tout état de cause, les partis de l’administration, FLN et RND principalement, en sont toujours les principaux bénéficiaires.

Un parlement sans pouvoir

A cela, il faut ajouter le rôle insignifiant du parlement algérien, résultant d’un dispositif constitutionnel inadéquat, aggravé par la pratique politique du pays. La constitution, y compris celle amendée il y a deux ans, a mis en place un système hyper-présidentiel, ne laissant que peu de place au parlement. Celui-ci n’a pas de poids face à l’institution présidentielle. De plus, le premier ministre, qualifié de « coordinateur » du gouvernement par un ancien titulaire du poste, Abdelaziz Belkhadem, n’a pas son propre programme, mais se contente d’appliquer celui du chef de l’Etat.

Le président n’est pas tenu de nommer le premier ministre parmi la majorité électorale, qu’il se contente de consulter. Le parlement ne peut réellement censurer le gouvernement. Dans les faits, c’est plus grave : il ne discute pas les projets de loi pour les amender ou les rejeter, mais il les « enrichit », dans la grande tradition du parti unique.

Un tel tableau n’encourage guère à aller aux élections. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’intérieur, M. Noureddine Bedoui, de faire une curieuse sortie cette semaine, sommant les partis de participer aux élections, faute de quoi ils risquaient de perdre leur agrément. Est-ce un moyen de faire pression sur les partis encore hésitants, ou un projet mûrement réfléchi ? Difficile à dire pour le moment. Mais la sortie du ministre de l’intérieur confirme que le pouvoir est disposé à verrouiller davantage le jeu politique.

L’art de verrouiller

Pour l’heure, le pouvoir a réussi à se préserver en verrouillant le jeu. Dans son optique, c’est un succès. Il renforce ainsi son propre sentiment de victoire, et s’accorde de fait un satisfecit. Il a réussi à éviter l’émergence de forces politiques concurrentes. Il est donc certain de se perpétuer, même si épisodiquement, il est obligé d’intégrer, à la marge, de nouveaux clients et de nouvelles ambitions.

Dans la logique des réseaux qui contrôlent le pouvoir, la situation actuelle de l’Algérie est acceptable, sinon bonne. Il n’y a donc aucune de raison de changer. Une telle appréciation les amène naturellement à reproduire les mêmes mécanismes, qui déboucheront sur les mêmes résultats. Depuis deux décennies, l’Assemblée nationale est dominée par le duo FLN-RND. La prochaine élection ne risque guère de changer la donne, et le pouvoir s’en satisfait. Il pense avoir mis l’opposition dans une impasse : ou elle participe aux élections et elle cautionne ; ou bien elle boycotte, et elle se met hors jeu.

Mais l’impasse est celle du pays avant d’être celle de l’opposition. Faire un bilan sans évoquer Khalifa, Chakib Khelil, les scandales à répétition et l’échec économique, reconnu par le président Bouteflika lui-même, n’a pas de sens. Planifier pour maintenir le pays dans cette fosse à scandales n’est pas un projet politique. Maintenir une impasse intégrale, avec un pays qui tourne à vide, non plus. Et ça, ce n’est pas la faute de l’opposition.

Droits télé : Issa Hayatou, beIN SPORTS et la mauvaise gouvernance

 

Un autre regard sur l’affaire des droits télé et la non retransmission de la CAN 2017 par la la télévision algérienne

http://bit.ly/2iC7MAA

En Algérie, l’opposition se plie à l’agenda électoral du pouvoir

 

Une analyse publiée sur le site maghrebemergent.info

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Le gouvernement tétanisé par la peur de l’émeute

Face à la crise, le gouvernement se trompe d’époque, de méthode, de moyens et d’objectifs.

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 janvier 2017)

Une petite rumeur a suffi à paralyser le gouvernement Sellal. Une petite émeute a suffi pour délégitimer un projet économique. Une petite hausse de la TVA a suffi pour menacer le front social d’un embrasement général. En ce début de 2017, le pouvoir en place en Algérie est si fragile, si incertain, si désorienté, qu’il est contraint à un immobilisme destructeur. Contraint d’avancer de biais, ne jouant jamais cartes sur tables, il est obligé de dribbler, de mentir, de nier l’évidence, y compris quand il s’agit de prendre des décisions nécessaires, voire salutaires. Ce faisant, le pouvoir empêche le pays de prendre les virages indispensables, et discrédite, par sa seule présence, des mesures vitales. Il devient alors un sérieux danger pour le pays.

Les pérégrinations de l’équipe dirigée par M. Abdelmalek Sellal ces dernières semaines l’ont clairement illustré. Le premier ministre a été contraint de monter lui-même au créneau, face à une menace de grève, alors que les mesures annoncées avaient une portée très limitée. Qui a appelé à la grève? Personne ne le sait. Le gouvernement lui-même est dans l’incapacité d’identifier cette source de déstabilisation potentielle.

Et que dit M. Sellal? Il n’assume pas les décisions prises. A peine évoque-t-il leur impact limité, ce en quoi il a raison. Mais sur le reste, il parle de travers. Il nie la crise, il occulte les problèmes du pays, fait du populisme, et s’arrête aux limites qui lui sont fixées.

Handicaps

En fait, M. Sellal accumule les handicaps. D’abord, il ne décide pas. Il essaie, tant bien que mal, de traduire en actes de gestion des orientations qu’on lui transmet. Celles-ci se résument à une équation impossible à résoudre : gérer la crise, en évitant à tout prix un embrasement du front social.

Ceci amène M. Sellal à prendre des mesures nécessaires dans l’absolu, mais fragmentées, partielles, sans cohérence entre elles, et qui deviennent à la fois antipopulaires et contre-productives; sa position est si aléatoire qu’il est incapable de convaincre du bien-fondé de ses décisions. Il avance d’un pas, mais recule dès que la rue gronde. Ses ministres font de même, comme l’a confirmé Mme Benghabrit avec cette ridicule affaire de vacances scolaires. Au final, le gouvernement est réduit à l’impuissance, à l’inaction, au mieux à agir à un rythme excessivement lent. Il prend, en un mandat présidentiel, les mesures qui auraient pu être prises en un semestre. Et en plus, il est battu à plate couture par une contre-propagande qui l’accuse de vouloir affamer le peuple.

La TVA ? Une blague

Pourtant, les mesures qu’il prend n’ont qu’un impact très limité. Et contrairement à ce qui s’écrit, l’augmentation de la TVA, par exemple, n’a pas d’impact majeur sur le pouvoir d’achat. En période de crise, non seulement la mesure peut se justifier, mais elle peut être compensée par un effort minime d’amélioration de la gouvernance. Personne ne refuserait de payer deux pour cent de TVA supplémentaire si les rues étaient un peu plus propres, si la connexion internet était un peu plus stable, si les avions d’Air Algérie étaient un peu plus ponctuels, si les coupures d’électricité étaient un peu moins nombreuses, et si l’argent récolté était destiné à autre chose qu’à construire des dos d’ânes, à être détourné ou à financer des projets confiés à Ali Haddad.

Allons plus loin. Il y a des secteurs qui ne sont plus gérables aux prix actuels, et où augmenter les prix relève de l’évidence. Vendre le carburant, l’électricité, le lait, l’eau, le pain aux prix actuels est antiéconomique et antisocial. Ce niveau de prix rend certains secteurs totalement ingérables. Une amélioration de la gestion y est impossible : comment améliorer la gestion quand remplacer un compteur désuet par un autre performant coûte trois années de consommation? Comment lutter contre le gaspillage d’électricité quand on baisse les prix pour une catégorie de consommateurs qui menacent de « couper la route »?

Erreur sur toute la ligne

Une précision : ceci n’est pas un plaidoyer pour une augmentation des prix. Il s’agit plutôt de dire que le gouvernement se trompe d’époque, de méthode, de moyens et d’objectifs. Il ne s’agit pas, aujourd’hui, de pallier au déficit budgétaire, mais de lancer des réformes de fond pour construire une économie viable. Il ne s’agit pas de prier pour que le baril remonte, mais de mettre en place une démarche qui permette de diminuer progressivement le poids des hydrocarbures dans l’économie du pays, pour s’en défaire sur un délai raisonnable, une ou deux décennies. Il ne s’agit pas de réviser la loi sur la santé pour remédier aux dysfonctionnements criards, mais de remplacer un système obsolète, conçu pour l’Algérie des années 1960, celle où les maladies pandémiques étaient la tuberculose, la malnutrition, la galle, par un autre système en mesure de prendre en charge une population plutôt âgée, avec des pathologies dominées par le diabète, les maladies cardiovasculaires et la malbouffe. Et c’est là que le système Bouteflika échoue, jusqu’à la caricature : alors que l’incubateur des biotechnologies de Sidi Abdallah patauge, alors que Saïdal et les grandes entreprises privées de médicaments sont étouffées, alors que les cliniques privées, pourtant dument installées, sont exclues du système de sécurité sociale, l’Algérie officielle et médiathèque fait la promotion du fameux médicament « Rahmet Rabbi » et du charlatan Bellahmar.

Un système politique qui mène à ces extrémités ne peut que trembler face à la moindre fièvre sociale, car il n’a ni la légitimité, ni la technicité pour gérer la complexité de la société algérienne de ce nouveau siècle.

Le retour en force des casseurs est une aubaine pour le pouvoir

Les casseurs sont un produit de la mauvaise gouvernance, non un produit de la hausse de la TVA. Leur retour très médiatique paralyse toute contestation.

Abed Charef

Un dirigeant de l’opposition peut se tromper. Il a le droit de faire une analyse erronée, et de présenter un programme approximatif, avec des propositions inefficaces. Son erreur n’engage que lui et ses partisans. Elle n’a pas d’impact majeur sur la gestion des affaires du pays. Après coup, un  opposant a même la possibilité de dire qu’il n’a pas eu l’occasion de mettre sa recette à exécution, alors que ce qu’il proposait était complètement farfelu.

Un manifestant peut aussi se tromper. Il n’a pas la vision de l’homme politique, ni les informations dont dispose un ministre ou un militant chevronné pour analyser une situation. Quand il commet un acte grave, il est poursuivi en justice, et il est sanctionné. Il peut crier à l’injustice, à la violation de ses droits, mais l’autorité a la charge de réunir contre lui les preuves nécessaires à une condamnation éventuelle.

L’acte d’un casseur, pendant une manifestation violence, peut être condamné aussi bien par le pouvoir en place que par l’opposition. C’est même un classique. Si, pour le pouvoir, le casseur un homme manipulé par une main invisible, voire par une main étrangère, pour l’opposant, il peut aussi apparaitre comme un provocateur, un nihiliste dont l’action a pour résultat de discréditer la contestation, de lier les mains de l’opposition qui ne peut se montrer solidaire avec un casseur. Au bout du compte, le comportement du casseur finit par justifier, voire légitimer la répression.

Méfiance

Le casseur, lui, et par définition, n’a pas d’identité. Au mieux, il répondra au portrait du jeune voyou oisif manipulé par une main invisible. Chaque week-end, on lui ouvre les tribunes d’un stade où il a le loisir d’exprimer sa colère et de donner libre cours à la violence qui l’anime, pourvu que cette colère et cette violence ne prennent pas un sens politique pour s’exercer ailleurs, sur des terrains plus dangereux. Les autres, les gens qui se considèrent comme normaux, le voisin, le parent éloigné, l’ami d’enfance, regardent le casseur agir avec une compassion mêlée de réprobation. L’Algérie indifférente, celle qui pense bien mais ne fait rien, reste partagée à son égard. Elle subit, elle aussi, les pesanteurs d’un système insupportable, elle subit au quotidien brimades et injustices, mais elle réprouve cette violence qui se déchaine. A tort ou à raison, elle garde ce sentiment d’inutilité de la violence, de futilité de la contestation, cultivant une sorte de résignation héritée de longues années de douleurs.

Consensus contre le casseur

Les évènements de cette semaine à Béjaïa n’ont guère dérogé à ce schéma. Ils ont même marqué un glissement significatif. Des mouvements d’opposition, et une partie des médias, pas forcément affiliés au pouvoir, ont exprimé leur réprobation. Alors que la contestation bénéficiait traditionnellement d’une certaine sympathie, voire d’un soutien marqué de l’opposition et des médias libres, cette fois-ci, on note une réprobation, voire une condamnation assez sévère. Comme si, à l’exception des casseurs, un consensus s’est imposé au pays : loin de favoriser une sortie de crise, la violence ne fait qu’approfondir l’impasse. Peu importe que ce sentiment provienne de l’usure, des douleurs des années 1990, de l’échec du printemps arabe, de l’absence de perspectives convaincantes, ou d’une combinaison de tous ces facteurs. Toujours est-il que la société algérienne semble considérer qu’aujourd’hui, la violence n’est pas une solution, et ne peut déboucher sur l’ébauche d’une solution, même si, dans quelques rares cercles, on ne voit qu’elle comme facteur pouvant débloquer la situation actuelle.

Lectures divergentes

Le raisonnement est juste. Sauf que les leçons à tirer de ce constat sont radicalement opposées. Le gouvernement tente clairement d’en tirer profit. Lui qui a la responsabilité, toute la responsabilité, de la gestion du pays, se défausse sur les casseurs et sur une opposition supposée incapable d’encadrer la société. Ce faisant, il mise sur la peur pour amener une partie de la société à condamner, pêle-mêle, contestation et violence, en établissant un lien organique entre les deux.

Son discours, énoncé par le ministre de l’intérieur, M. Noureddine Bedoui, est sans équivoque: tout en rejetant la contestation, il ne présente comme alternative qu’une solution interne, celle à rechercher dans les institutions inexistantes. Ce faisant, il vise trois objectifs : d’abord, exclure toute solution hors système; ensuite, présenter ce système comme seul recours possible ; enfin, renforcer les institutions existantes, à travers les prochaines élections qu’il veut ainsi légitimer, alors que ces institutions ont manifestement échoué à offrir une solution pays.

La casse n’est pas le résultat de la TVA

Ceci résume toute l’impasse dans laquelle le 4ème mandat a plombé l’Algérie. Non seulement le système en place s’est montré incapable d’offrir des solutions viables au pays, mais en plus, son action a empêché l’émergence de solutions alternatives. Ce qui débouche sur cette situation insupportable : ceux qui contestent posent de faux problèmes, en ayant recours à des méthodes erronées, inefficaces, voire dangereuses, alors que les porteurs potentiels de projets politiques, refusant la violence, sont contraints de se plier à des règles qui ne leur permettent pas de devenir visibles.

Mais sur le fond, le gouvernement est dans l’erreur. Le casseur n’est pas un produit de la hausse de la TVA, comme il n’a pas été le produit de la hausse du prix du sucre et de l’huile en 2011. Le casseur un produit de la mauvaise gouvernance, qui empêche la société de s’organiser librement, dans un cadre légal et transparent.

Empêcher l’émergence d’alternatives crédibles ne garantit rien au pouvoir en place. Cela mène seulement à empêcher le pays de suivre un cheminement normal pour être dans le sens de l’histoire. Sur le long terme, cela signifiera que le prix à payer pour remonter dans le train de l’histoire sera encore plus lourd.