2014, la pénible année du quatrième mandat, s’achève. Enfin…

Malgré la chute des prix du pétrole, 2015 sera meilleure que l’année du quatrième mandat.

Abed Charef

Présenter ses vœux pour 2015 est un exercice aisé. Il n’y a ni échéance électorale en vue, ni quatrième mandat à organiser. Pour un pays qui a vécu l’humiliation de 2014, avec l’obligation d’assister, impuissant, à la préparation et à l’exécution de l’opération quatrième mandat, imaginer une perspective aussi sombre relève désormais de l’impossible. Le pays a touché le fond. Et malgré Fellag, il ne peut que remonter, il ne pourra pas creuser. Au pire, il se maintiendra au même niveau, pour gérer les retombées du quatrième mandat et la situation absurde sur laquelle il a débouché.

En fait, depuis que le président Abdelaziz Bouteflika a accédé au pouvoir, il y a quinze ans, 2014 a été l’année la plus pénible. Comme dans le calendrier traditionnel des Algériens du début du vingtième siècle, marqué par « l’année des bons » (de rationnement), « l’année de la peste » ou encore « l’année de la guerre des Allemands », il y a aura désormais l’avant et l’après 2014, l’avant et l’après quatrième mandat.

Pris dans la tourmente, ou impliqués dans l’engrenage, les Algériens ne mesurent probablement pas encore la portée de ce qui leur arrivé. Ils ne se rendent pas pleinement compte du caractère inédit de cette expérience unique dans l’histoire moderne. Il suffit pourtant de rappeler quelques faits, très simples, pour s’en rendre compte. Les Algériens ont élu à la présidence de la république un homme qui n’avait pas la force physique de leur demander de l’élire. Cet homme a été victime d’un accident vasculaire. Les médecins ont dit qu’il s’agit d’un « accident ischémique transitoire sans séquelle », ce qui était faux. Les séquelles étaient graves, visibles. Même les médecins n’ont pas été épargnés dans cette tourmente.

Par la suite, le pouvoir, dans son ensemble, a défendu le mensonge, ou a gardé un silence complice. Tous les ministres savent de quoi il s’agit. Certains ont choisi de jouer le jeu, d’autres ont fait semblant. Mais à tous, l’ancien président Liamine Zeroual a clairement expliqué la situation : la fonction de président de la république comporte des charges que M. Abdelaziz Bouteflika ne peut remplir, leur a t-il rappelé.

La pire année ?

Dans cette cruelle épreuve subie par le pays, la constitution a été bafouée, et toutes les institutions ont failli. De plus, l’Algérie a perdu un élément essentiel: la morale politique. Héritage d’une révolution porteuse de fabuleux symboles, ce qu’on appelle « les valeurs de Novembre » avaient littéralement porté le pays dans les années difficiles. Aujourd’hui, elles ont déserté les allées du pouvoir et les institutions.

Est-ce suffisant pour dire que 2014 a été la pire année de l’Algérie indépendante? Peut-être. Il y a eu 1997 et ses grands massacres, ainsi que les années longues années de sang qui avaient précédé. Mais pendant cette période, il y avait une partie de l’Algérie qui se battait, qui se sacrifiait, qui croyait à quelque chose et qui se défendait. Il y avait un combat, un enjeu, un horizon, un espoir qui animait nombre d’Algériens.

Cette flamme s’est éteinte en 2014. Ceux qui affirmaient naguère qu’ils se battaient pour sauvegarder la République et les institutions se sont alignés docilement pour signer une reddition en rase campagne. Ils ont vu la république chanceler, ils ont vu le centre du pouvoir quitter les institutions pour s’installer dans les réseaux, et ils se sont résignés, préférant rejoindre les réseaux plutôt que de s’accrocher à la république. C’est ainsi que j’ai ressenti 2014.

Remonter est facile

Pour 2015, on nous annonce des perspectives très sombres, avec difficultés économiques, des restrictions budgétaires, peut-être la fin des subventions, à la suite de la chute des prix du pétrole. Le tableau est suffisant inquiétant pour pousser certains à dire prédire révoltes et jacqueries, et peut-être, un virage vers la violence sociale qui va remplacer la violence terroriste. Un nouveau discours se met en place : il faut se serrer la ceinture, dit-on. Le temps de l’abondance est révolu.

Pourtant, l’histoire récente a montré que le problème de l’Algérie n’est pas économique, mais pas politique. Osons donc un pari : avec une bonne gestion, l’Algérie peut vivre aussi bien en limitant ses importations d’un tiers. Allons plus loin : l’Algérie n’a pas de problème de recettes en devises, elle a un problème de gestion et d’organisation de l’économie. Elle n’a pas de conflit entre le secteur privé et le secteur public, elle a un problème de transparence dans la gestion du secteur public et du secteur privé. Son économie est organisée comme son élection présidentielle : tout le monde sait que le processus est absurde, mais il y a ceux qui ne peuvent rien faire, et ceux qui participent activement à la supercherie parce qu’ils en tirent profit.

Dans ce processus, l’Algérie a atteint, avec le quatrième mandat, la limite de ce qu’il est possible de faire dans l’absurde. Elle ne peut pas aller plus loin sans quitter la route. Le terrain devient trop dangereux. Malgré tous les dérapages, certains signes montrent qu’une étape est en train de se terminer, et qu’une reprise va s’amorcer. Non parce que les bonnes volontés dominent, mais parce que l’état du navire Algérie est devenu trop inquiétant. C’est pour cela que l’année 2015 ne peut être que meilleure que celle qui s’achève.

Bonne année.

Les sept miracles de Tunis

La Tunisie est au septième ciel, après avoir réussi son élection présidentielle. Retour, en sept points, sur l’élection présidentielle qui a propulsé Beji Caïd Essebsi au pouvoir.

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, 23 décembre 2014)

1 .Beji Caïd Essebsi a réussi, à 88 ans, le miracle de devenir président de la Tunisie de l’ère démocratique, après avoir joué un rôle central dans la répression, lorsque la Tunisie a connu ses moments les plus difficiles, dans les années 1960. Essebsi a en effet été patron de la police et ministre de l’intérieur, les deux postes du vrai pouvoir en Tunisie, l’équivalent de chef d’état-major de l’armée et patron du DRS en Algérie.

Dans son long itinéraire, il n’y a pas de trace de vraies convictions démocratiques. Ses partisans ont joué, comme en Algérie, sur la confusion entre démocrates et anti-islamistes. Essebsi est anti-islamiste, mais rien ne prouve qu’il est devenu démocrate. Sa conversion apparente n’en fait pas un Mehri. Au mieux un Messaadia. Son objectif est, logiquement, de restaurer le système dans lequel il a toujours baigné, pas de mener la Tunisie vers un monde nouveau. On ne peut même pas le lui reprocher : il appartient à la génération qui avait la charge de gérer la période post-indépendance, pas à la génération appelée à affronter le monde psot-Snowden.

2. Second miracle, Essebsi a bénéficié d’alliances interne et externe inattendues. L’Algérie et les autres pays influents, France et Etats-Unis, ont voté pour lui. Chacun avait ses raisons, mais il y avait une vraie convergence d’intérêts. Ce consensus international a favorisé l’apaisement qui a précédé l’élection, et permis d’organiser le vote dans des conditions sereines.

3. Troisième miracle, le système Ben Ali s’est dépoussiéré. Il s’est débarrassé de ses éléments les plus encombrants, pour présenter un visage lisse, avec un candidat pépère, rassurant, renvoyant à l’image de Bourguiba plutôt qu’à celle de Ben Ali. Pourtant, sur un strict plan de la chronologie historique, Essebsi a précédé Ben Ali, qui a est plutôt un héritier du premier.

Ceci rappelle que le système Ben Ali englobait toute la Tunisie. Des cadres de valeur l’ont servi, en se mettant au service de l’Etat, plutôt qu’au service du pouvoir. Les condamner en bloc n’a aucun sens. A charge pour eux de s’affirmer, de devenir réellement autonomes, plutôt de que de constituer la clientèle d’un système qui risque de se reconstituer. A contrario, la Libye, qui a voté une absurde loi d’exclusion, s’est virtuellement retrouvée privée de la partie la plus significative de sa capacité de gestion. Pour caricaturer, la Libye s’est retrouvée, du jour au lendemain, privée de tous ceux qui avaient le sens de l’Etat et avaient atteint un certain niveau dans la hiérarchie de l’armée, des services de sécurité, de l’administration, du système bancaire, etc.

4. Un autre miracle, islamiste celui-là : Ennahdha ne s’est pas mouillé dans l’élection présidentielle. Rached Ghanouchi a compris, après l’expérience égyptienne, que le Tunisie contient des forces de nuisance en mesure de l’empêcher de gouverner. Non seulement il n’a pas présenté de candidat, mais il ne s’est pas mouillé à fond avec Moncef Marzouki, car cela risquerait de gêner le président sortant s’il apparaissait comme l’otage des islamistes.

Ghannouchi a ainsi procédé à un repli temporaire. Inutile de se presser si les vents sont contraires. Son parti est présent au parlement. Il a la possibilité légale d’entretenir un appareil politique, en attendant son heure. Tout faux pas de l’équipe Essebsi va le relancer.

5. Cinquième miracle, un dirigeant arabe quitte le pouvoir sans être évacué par l’émeute ou par l’armée. Moncef Marzouki s’en va, la tête haute. Malgré quelques ratages sans importance, résultats de sa naïveté politique et d’un idéalisme déplacé, il a réussi un parcours admirable. Il a mené le processus de transition institutionnelle à son terme. Il a refusé de s’allier avec l’un des deux camps qui voulaient une bipolarisation de la vie politique pour aller à la confrontation. Il a épargné le chaos à son pays, maintenant le dialogue avec tous les partenaires, laïcs, modernistes, islamistes, conservateurs et héritiers de l’ancien système. Il a refusé de couper les ponts avec les uns et les autres.

6. A gauche, par contre, il n’y a pas eu de miracle. La gauche tunisienne a raté le virage. En acceptant de s’inscrire dans le clivage idéologique au détriment du clivage économique et social, elle a abdiqué, signant peut-être son arrêt de mort. Elle est virtuellement appelée à disparaitre, pour se dissoudre dans la nouvelle donne, pour devenir, au mieux, une fraction du courant anti-islamiste. Mais elle est particulièrement vulnérable. Comme en Algérie, elle a perdu son autonomie de pensée et d’action. Elle sera dépendante du bon vouloir du pouvoir central. Il suffira au pouvoir de laisser un peu de champ aux jihadistes pour lui rappeler sa précarité.

7. Le vrai miracle, le septième, est à venir. Il fera oublier tout le reste: comment va évoluer cette alliance qui a porté Essebsi au pouvoir ? Va-t-elle se moderniser, se démocratiser, s’ouvrir vers la société ? Ou bien va-t-elle se recroqueviller sur elle-même, se laisser entrainer dans un engrenage de vengeance, et, dans l’euphorie dominante, tenter de reconstituer le système Ben Ali?

Il est facile de dire que la nouvelle Tunisie a battu la dictature, et que la démocratisation est irréversible. L’expérience a montré que rien n’est irréversible, à part les illusions, le mensonge et la bêtise. Essebsi n’est pas Mehri. Et ce n’est pas Mehri qui est revenu aux affaires, mais Messaadia.

ll faudra donc que Nida Tounès invente rapidement des hommes d’Etat capables, à leur tour, d’inventer un pays nouveau, avec des pratiques nouvelles, pour éviter de retomber dans le ronronnement des années Ben Ali. Car, faut-il le rappeler, Ben Ali avait suscité un certain engouement et beaucoup d’espoirs quand il a déposé Bourguiba. Mais quelques années plus tard, le jeu s’est refermé. Si la Tunisie ne trouve pas de nouvelles solutions, Ennahdha apparaitra comme une alternative non seulement légitime, mais nécessaire.

Consensus National et Bonne Gouvernance

Conférence débat animée par M Mouloud Hamrouche,

ancien Chef de Gouvernement,

à Sidi Bel-Abbes, le 20 décembre 2014

(Résumé)

 

Le but du consensus national recherché est de réaliser un saut qualitatif et de mettre l’État à l’abri des contingences et menaces nées des dernières remises en cause des normes juridiques édictées par les Nations-Unies.

Le consensus est indispensable pour sécuriser la volonté nationale, renforcer la cohésion de la nation et préserver la stabilité sociale. Le consensus est la conséquence d’une adhésion libre des citoyens. Cette adhésion libre légitime l’État et sa force de contrainte.

Pour que l’État national fonctionne et assume ses pouvoirs régaliens, le consensus national va confirmer les deux exigences indispensables à la suprématie de l’État national.

  • L’État dispose légitimement de forces de défense et de sécurité pour protéger le peuple, le pays, ses frontières et ses intérêts.
  • L’État incarne la volonté nationale, protège tous les droits et toutes les libertés et dispose des administrations pérennes.

A ce titre le consensus national est indispensable pour le renforcement de l’État national, et il nécessaire pour la mise en place de l’État de droit et pour que la loi prime en tout lieu et en toute circonstance.

Le consensus national nouveau est une exigence pour réhabiliter l’État national et non pour légitimer un gouvernement ou un pouvoir.

L’État national protège notre identité nationalité et notre territoire. Il assure notre sécurité et la sécurité de nos intérêts. Il défend nos droits et les droits de chacun d’entre-nous. Il ne crée pas de droits.

L’État de droit est caractérisé par :

  • Des normes hiérarchisées, constitution, lois et règlements, où chaque règle tire sa légitimité de sa conformité aux énoncés supérieurs,
  • une séparation des pouvoirs qu’une constitution organise par identifications et attributions de compétences.
  • L’égalité de tous, personnes physiques ou morales devant la règle de droit.
  • la responsabilité des gouvernants, face à leurs actes ou décisions ou absence de décisions. Là nous sommes déjà dans le domaine de la gouvernance.

La Bonne Gouvernance

La bonne gouvernance, relève quant à elle d’un consensus politique et/ou électoral. Il arrive parfois, qu’un pays recours à un gouvernement d’union nationale à la suite d’une crise politique (ne pas confondre avec une crise nationale). Un gouvernement ne peut être totalement l’État. Il ne peut être un substitut à l’État. Il dispose de moyens légaux de l’État, sous conditions.

Issu de la théorie micro-économique et de la science administrative anglo-saxonne, la notion de « bonne gouvernance » a été diffusée dans les années 1990 par la Banque mondiale, comme la condition nécessaire des politiques de développement en mettant l’accent sur la gestion des ressources économiques et sociales.

La bonne gouvernance est l’exercice de l’autorité, politique, économique ou administrative pour gérer les affaires d’un pays, d’une entreprise ou d’un projet.

La gouvernance repose sur trois principes fondamentaux :
– la responsabilité,
– la transparence,
– l’état de droit ou une situation de droit
La responsabilité est l’obligation de répondre de certains de ses actes de gouvernance. Être comptable de ses décisions et de ses non décisions.

La transparence en matière politique ou économique, porte sur la communication des décisions et leurs motivations, sur la façon dont elles sont prises, sur les coûts réels des projets, sur les questions de sûreté du fait d’une activité ou d’un projet, sur l’accès à l’information. La difficulté est de savoir si l’information que le citoyen reçoit est sincère et correspond à la réalité.

Notre gouvernance à nous s’est épuisée dans des crises coriaces en tout genre malgré les efforts et les sacrifices consentis. Les déficits et les impasses touchent tous les secteurs, économique, social, éducatif, administratif et politique.

Nos constituants sociaux ressentent amèrement l’absence d’équité et le manque de solidarité. Ils ne veulent plus s’accommoder d’un pouvoir souverain sans contre-pouvoir ni d’un pouvoir d’autorité ou de mission sans habilitation par la loi et sans un contrôle.

C’est pour toutes ces raisons que nous avons besoin, à nouveau, d’un consensus national. Il y va de notre intérêt, de notre sécurité et la sécurité de toutes les régions du pays et de tous les constituants sociaux.

La finalité de ce consensus est de chercher à renforcer la cohésion nationale, maintenir une plus grande harmonie entre tous nos constituants sociaux, réhabiliter et renforcer l’État. Il ne s’agira nullement de pouvoir ou de partage de pouvoir, de gouvernement ou poste.

Notre État est né de la volonté de chacun des Algériens, de chacun des constituants sociaux de notre pays. Il est né aussi des sacrifices de ceux qui sont morts sur l’autel de notre liberté en résistant à la colonisation durant plus d’un demi-siècle, dans toutes les régions du pays et de toutes les régions du pays.

C’est pourquoi notre État doit défendre les libertés, toutes les libertés et tous les droits, car il est né de la liberté des Algériens et la liberté de l’Algérie.

Un tel État avec de telles dimensions et de telles adhésions survivra aux hommes, aux gouvernements et aux crises.

Naufrage annoncé de la gauche-couscous en Tunisie

La gauche sera l’arbitre de la présidentielle en Tunisie. Elle hésite : va-t-elle rallier un peuple « barbu », ou bien va-t-elle s’abriter la sécurité de l’ordre ancien?

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 décembre 2014)

Un concert de louanges entoure le processus électoral en Tunisie. C’est un beau succès, il faut en convenir. La Tunisie apparait comme l’exception qui confirme la règle de l’impossibilité d’organiser des élections démocratiques dans le monde arabe. Après des législatives crédibles, un premier tour de la présidentielle réussi, le second tour de la présidentielle, dimanche prochain, devrait couronner une démarche qui a connu quelques moments de tension, mais qui n’a jamais dérapé. Le couronnement serait une élection libre, qui ferait entrer le pays dans la modernité démocratique.

Ces louanges ne peuvent toutefois cacher une réalité très inquiétante. Car l’expérience tunisienne a confirmé l’échec d’une certaine forme de politique. Le vote ne se fait pas sur des bases économiques et sociales, ni mêmes politiques. Il se fait sur des dogmes, l’idéologie, sur l’irrationnel, la peur, le chantage à l’instabilité et la menace de l’inconnu. Malgré le retrait d’Ennahdha, qui n’a pas présenté pas de candidat à la présidentielle, les acteurs politiques ne s’affichent pas porteurs d’intérêts économiques et politiques, ils sont jugés sur leur supposé rapport à la foi, à la religion ; sur leur capacité à combattre l’islamisme, ou à s’en accommoder, voire à le favoriser.

Beji Caïd Essbsi, un bon vieux cacique de l’ère Bourguiba-Ben Ali, candidat de Nida Tounès, est virtuellement porteur d’un projet de restauration d’un système supposé mort avec l’immolation de Bouazizi. La victoire de Caïd Essebsi signifierait, d’une certaine manière, que la Tunisie s’est a fait fausse route ces trois dernières années. Elle aurait commis une immense erreur aves son fameux « printemps ». Et aujourd’hui, la récréation est finie. Tout le monde reprend sa place, dans un ordre qui n’aurait jamais du être bousculé. Cette vision suggère que le système Ben Ali était bon, qu’il avait juste besoin d’un coup de peinture pour ravaler la façade. C’est oublier qu’il était bâti sur une répression féroce contre les islamistes, mais aussi contre les laïcs et démocrates hostiles aux choix de Ben Ali.

Restauration

Que les bénéficiaires de l’ancien système, regroupés autour de Caïd Essebsi, souhaitent la restauration de l’ordre ancien, est dans l’ordre des choses. Que des groupes ou des fortunes le soutiennent est tout aussi cohérent. Que le candidat de Nida Tounès mette en avant une volonté de sauvegarder l’Etat tunisien, contre un adversaire accusé de « connivence » avec les islamistes, est tout aussi important. Mais est-il pour autant possible de s’en tenir à cette promesse? Certes, une victoire de Caïd Essebsi peut déboucher sur un renforcement de la nature « civile » de l’Etat tunisien. Mais elle peut tout aussi bien déboucher sur un engrenage de remise en cause de ce qui a été fait ces trois  dernières années, en s’appuyant sur la légitimité démocratique. Une dynamique de restauration de l’ordre ancien n’est pas exclue, d’autant plus que Caïd Essebsi n’a jamais montré de vraies convictions démocratiques, et que l’enthousiasme des nouveaux convertis pousse naturellement à l’excès, à l’arrogance des puissants et aux règlements de comptes.

Une victoire de Caïd Essebsi aurait une autre signification, inattendue. Ce serait un naufrage moral de la gauche tunisienne, qui aura vendu son âme, en se plaçant du côté de l’ordre ancien, contre le peuple. En position d’arbitre, la gauche confirmerait alors qu’elle a définitivement abandonné le terrain des luttes sociales, pour se situer dans une autre confrontation, celle entre les laïcs et les autres. Elle serait sur le même terrain que la gauche française, qui a déserté le terrain économique et social, laissant les pauvres se réfugier dans l’illusion Front National, pour s’occuper essentiellement de « mœurs », avec le PACS, le mariage pour tous, la place des femmes, la liberté sexuelle, etc., tout en s’accommodant du creusement des inégalités. Fait symbolique : les grandes stars de la gauche française de ce début de siècle sont plus connues pour leurs frasques sexuelles que pour leurs conquêtes sociales.

L’âme de la gauche

Moncef Marzouki a bien relevé cet abandon des luttes sociales par la gauche, qui ne s’occupe plus des pauvres. Ceux-ci sont pris en charge par les islamistes, qui leur offrent un prêt-à-penser rudimentaire, mais très efficace. Puisque la gauche ne s’occupe même plus du sort des pauvres dans ce monde, les islamistes leur proposent une solution pour ici et pour l’au-delà. Le Front National tente de faire la même chose, en proposant des réponses identitaires.

Paradoxe? Non. La gauche, en Algérie comme en Tunisie, est en fait une petite bourgeoisie urbaine, occidentalisée, qui n’a plus de rapports avec le peuple de gauche, les sans-dents. Une gauche-couscous qui aspire à devenir gauche-caviar, prête à composer avec le système Ben Ali du moment qu’il assurera sa sécurité et son confort, et limitera la répression aux pauvres, aux barbus et aux ruraux. Elle affiche encore un discours de gauche, mais elle a une pratique politique basée sur d’autres critères. Sa grille de lecture n’est plus dictée par le bon vieux clivage riches-pauvres, exploitants-exploités, capital-travail ; elle a comme repère central le conflit religieux-laïcs.

Et quand je dis que c’est une élite « occidentalisée », ce n’est pas péjoratif. Je considère que l’occidentalisation est aujourd’hui une nécessité, car elle signifie rationalité, accès à la modernité, instauration d’un pouvoir institutionnel, respect des libertés et des droits de l’homme. Tout ceci fait partie des valeurs de gauche, mais cela ne justifie l’abandon de ce qui fait l’âme de la gauche, le peuple.

Le cadeau de la Banque d’Algérie aux riches

L’Algérie subventionne les pauvres. Désormais, la Banque d’Algérie va subventionner les riches, en leur offrant la possibilité de transférer des capitaux à l’étranger.

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, 11 décembre 2014)

La Banque d’Algérie ne se contente pas de prêter aux riches, elle leur fait des cadeaux. D’immenses cadeaux, qu’ils ont réussi à obtenir grâce à un lobbying très efficace mené par le patronat algérien pour obtenir le droit de transférer de l’argent à l’étranger, sous forme de capitaux à investir. Et la victoire, consacrée par une circulaire de la Banque d’Algérie autorisant ces investissements, est un véritable coup de maitre.

Les patrons vont ainsi pouvoir travailler à l’international, avec le concours de l’Etat algérien, alors qu’ils multiplient leurs critiques contre le gouvernement. Car même si la bureaucratie de la Banque d’Algérie garde, en pratique, un droit de regard sur la procédure mise en place, le coup est réussi. Et c’est désormais l’Etat algérien qui va offrir à ceux qui organisent le transfert d’argent vers l’étranger la moitié des fonds souhaités. Un joli cadeau de l’Algérie à ceux qui exportent des devises.

Ce coup est devenu possible grâce au taux de change artificiel pratiqué par la Banque d’Algérie. La parité actuelle, 105 dinars pour un euro, est maintenue, alors qu’au taux réel, il faut 160 dinars pour un euro. La différence entre le taux réel et le taux officiel est de près de 50%. Officiellement, le taux officiel est maintenu pour aider les couches les plus défavorisées. Cela entre dans le cadre des mesures multiformes destinées à soutenir les prix de certains produits, en vue de préserver la paix sociale.

Mais concrètement, cette mesure va avoir une nouvelle signification avec la dernière mesure de la Banque d’Algérie. Prenons l’exemple d’un investisseur qui a besoin de 10 millions d’euros pour racheter une affaire à l’étranger. Il présente un dossier qui, une fois accepté, lui permet de verser un milliard de dinars pour avoir l’équivalent en euros. S’il devait acheter les devises sur le marché informel, il lui faudrait 1,5 milliards de dinars. L’Etat algérien lui a donc fait un cadeau d’un demi-milliard de dinars.

Campagne habile

Le patronat a su mener sa campagne. Il a présenté l’affaire sous un jour très favorable : il s’agit de de donner aux Algériens la possibilité d’investir à l’étranger. Pourquoi les empêcher? Et qui peut les en empêcher? Qui peut être contre cette idée? Comment ne pas approuver ceux qui plaident pour le déploiement d’entreprises algériennes à l’international ? Dans un monde qui parle « doing business », qui utilise le langage FMI et banque Mondiale, et où il est question d’offrir des facilités aux entreprises pour créer de la richesse, personne ne peut s’opposer à une telle demande. Surtout pas l’Etat algérien, si décrié pour les multiples entraves, et les « dos d’âne » administratifs mis en place par Ahmed Ouyahia et ses compagnons.

Mais ce qu’ont obtenu les patrons, c’est, en réalité, la possibilité de pouvoir transférer à l’étranger des dinars achetés au taux officiel. Des dinars subventionnés. Pour les pauvres, l’Algérie subventionne le pain et le lait. Et pour les riches, elle subventionne l’achat d’usines et le transfert de devises. Ce qui risque de donner lieu à une évasion massive de capitaux.

La Banque d’Algérie pourra toujours dire, selon une formule très algérienne, qu’elle a mis en place les « mécanismes nécessaires » pour contrôler les flux financiers ainsi générés. On parlera de balance devises et de délais légaux de rapatriement. Mais dans l’Algérie post-Chakib Khelil, personne ne croira à l’efficacité de ces mécanismes, qui ne s’appliqueront jamais. Du moins pas aux amis. Et puis, il s’agit, aujourd’hui, de faire sortir l’argent. Comment faire en sorte qu’il ne revienne pas? On verra bien le moment venu. Le FCE planchera sur le dossier dans quelques années. Il trouvera la solution.

Les alternatives existent

Etait-il possible de faire autrement ? Bien sûr. Laisser glisser le dinar pour l’amener à un niveau proche de sa valeur réelle, tout en menant les correctifs nécessaires au plan interne, pour amortir les répercussions inévitables de cette évolution. Et permettre ensuite aux investisseurs de transférer autant d’argent qu’ils veulent, au taux réel du dinar. Une dévalorisation progressive du dinar permet, en outre, de décourager les importations, et par ricochet, de revaloriser la production locale, seule issue pour le pays sur le long terme. C’est une démarche préconisée par tous les spécialistes soucieux de relancer réellement la production interne.

Dans le pire des cas, il était possible, pour parer à l’urgence, si urgence il y a, de recourir à une mauvaise solution, pour une période transitoire : mettre en place deux taux de change, et se fixer un calendrier pour éliminer l’écart dans un délai rapproché. Mais dans tous les cas de figure, unifier les deux taux sur une période raisonnable, pour permettre aux chefs d’entreprises de travailler sur des bases transparentes, publiques. A charge pour eux d’investir où ils veulent, là où les conditions sont les plus attractives.

Mais pour l’heure, ils vont se satisfaire de ce que fait la bureaucratie algérienne. Celle-ci leur a permis de se déployer pour aspirer la rente ; elle va leur offrir les mécanismes pour transférer l’argent vers l’extérieur. Peut-on le leur reprocher? Assurément pas. Les patrons défendent leurs intérêts, et ils le font de manière efficace. Ils ont compris qu’ils ne trouveront jamais meilleur allié que la bureaucratie type Ouyahia, qui affiche pourtant une hostilité teintée de mépris à l’égard de ce qu’elle qualifie de « limonadiers ».

Les patrons emblématiques de l’ère Bouteflika marquent leur territoire

Le patronat algérien amorce un virage délicat, avec l’intronisation de Ali Haddad à la présidence du Forum des Chefs d’entreprises. Pendant ce temps, Laïd Benamor veut relancer une chambre de commerce pour en faire un instrument économique.

Abed Charef

Article disponible sur le site Maghreb Emergent: 

Les patrons emblématiques de l’ère Bouteflika affichent leur volonté de coller au plus près au pouvoir, tout en s’attelant à mener les transformations nécessaires au  dispositif mis en place parallèlement au quatrième mandat. Ali Haddad, patron de l’ETRHB, premier groupe de travaux publics du pays, et Laïd Benamor, présent dans l’agro-alimentaire, ont pris les rênes du Forum du chef d’entreprises (FCE) et de la Chambre de commerce et d’industrie (CACI). Ils tentent de les arrimer à la politique gouvernementale, tout en modifiant légèrement leurs trajectoires respectives, afin de d’en faire des instruments plus efficaces au service de l’entreprise.

Ali Haddad ne cache pas sa volonté de « travailler dans le sillage du gouvernement », tout comme le proclamait son prédécesseur Rédha Hamiani. Les chefs d’entreprises, qui espèrent tirer profit de la proximité avec le pouvoir, s’en félicitent. Dès son intronisation, Ali Haddad a affirmé qu’il continuerait à travailler étroitement avec les autorités, tout en défendant l’entreprise. «Nous allons dire toute la vérité. Nous n’allons pas nous taire sur ce qui n’arrange pas l’entreprise », avait-il annoncé. Sans se démarquer des positions traditionnelles du FCE, il veut cependant ménager certains courants, en prônant plus de souplesse sur la règle du 51/49. Il souhaite qu’elle soit « assouplie », et limitée à ce qu’il considère comme « branches ou filières stratégiques, où la partie algérienne est obligatoirement majoritaire, comme l’énergie, les hydrocarbures, les TIC, l’eau, les banques, les assurances et le transport ».

Apaisement

Mais Ali Haddad a d’autres priorités. D’une part, asseoir son autorité sur le FCE, où il a été élu à l’unanimité, sa candidature étant seule en lice ; d’autre part, rétablir l’image écornée d’un FCE trop docile, trop proche du pouvoir, et peu moderne. M. Haddad a d’ailleurs appelé ceux qui avaient quitté le FCE pour protester contre le soutien au quatrième mandat du président Bouteflika à revenir au son de l’organisation. Deux chefs d’entreprises très médiatiques, Issaad Rebrab, patron de Cevital, et Slim Othmani, PDG de NCA Rouiba, avaient quitté l’organisation pour protester contre son alignement sur le président Bouteflika en avril dernier.

Par ailleurs, si le FCE assure un lobbying très efficace, c’est à la chambre de commerce que se trouvent les grandes affaires. Le nouveau directeur, Laïd Benamor, affiche sa volonté de moderniser une institution en ruines, court-circuitée par les réseaux et les opportunités d’affaires offertes par les relations personnelles. Résultat : les chambres de commerces et d’industrie sont « désertées », selon Laïd Benamor. « Les gens ne veulent pas y aller, ils y adhèrent difficilement », a-t-il déclaré.

Les chambres de commerce sont peu outillées, et fonctionnent au ralenti. Elles ne disposent pas d’informations sur l’économie algérienne. « Qui produit quoi ? On n’a pas cette information », reconnait le nouveau président.

Beaucoup d’opportunités en Algérie

Partisan lui aussi de l’idée de « plus de proximité avec les pouvoirs publics », M. Benamor affirme que les chambres de commerce peuvent contribuer à améliorer le climat des affaires, car « les opportunités existent », selon lui, « nombreuses, offrant la possibilité de réaliser des bénéfices ». Il affirme même qu’il y a « plus d’opportunités de faire des affaires en Algérie qu’ailleurs ». Il en cite comme  preuve les filières des entreprises étrangères installées en Algérie, souvent classées premières au sein de leurs groupes respectifs. Selon lui, l’Algérie offre «un marché et une marge de manoeuvre aux opérateurs pour se développer».

Il reconnait toutefois que « l’acte d’investir est difficile, il faut le faciliter et encourager les investisseurs ». Comment ? Par des mesures pratiques qu’il propose. Il se garde de vouloir soulever des problèmes, il « préfère apporter des solutions ». Il demande « plus de facilités dans l’impôt pour réduire l’informel », mais ne se prononce pas sur une éventuelle amnistie fiscale, réclamée par certaines organisations patronales. Il préfère « préparer un dossier pour aller à un projet élaboré », mais il demande « une plus grande stabilité du dinar pour avoir de la visibilité ». Quant aux zones industrielles, sujet de controverse récurrent, il propose qu’elles soient gérées par les entreprises.

Dans le monde algérien des affaires, Issaad Rebrab accentue son avance

L’homme d’affaires Issaad Rebrab s’est déployé à l’international, prenant une envergure qui lui donne une longueur d’avance sur les autres chefs d’entreprises algériens.

 Abed Charef  

Artile disponible sur le site maghrebemergent.info: http://bit.ly/1z5r4Pg

Pendant que Ali Haddad et Laïd Benamor découvrent les fastes du pouvoir, en s’installant comme nouveaux ténors du patronat algérien, Issaad Rebrab s’affiche dans une autre dimension, en se plaçant résolument à l’internationale pour donner l’image de l’homme d’affaires de grande envergure qui appartient à un autre monde. Bousculé dans les petits jeux de pouvoir par de jeunes loups avides de se faire une place, le patron de Cevital change de look, pour imposer cette nouvelle image, soigneusement élaborée par une communication efficace : M. Rebrab joue désormais dans la cour des grands, à l’internationale, et ne s’intéresse plus aux petits jeux des coulisses du microcosme qui gravite autour de Saïd Bouteflika.

Quand les autres parlent de millions de dollars, Rebrab parle de milliards. Quand les autres se bousculent pour un marché à Alger ou un contrat à Sétif, lui parle des grandes places financières internationales, Paris, Milan, et aussi de ce vaste chantier que va constituer l’Afrique.

En octobre, M. Rebrab était reçu à l’Elysée avec les grands patrons de ce monde, ceux de Samsung et de Volvo, la crème des entreprises mondiales. Il apparait plus familier de Microsoft et Sony que l’ETRHB. Il avance des idées pour relancer l’économie mondiale, pour relancer l’attractivité de l’économie française, lui dont les idées et les propositions sont ignorées ou combattues en Algérie, où l’économie est totalement sclérosée par la rente.

Déploiement à l’international

Mais s’il a des difficultés à être reçu à Alger, mais c’est le président  italien Matteo Renzi, qui « demande à le rencontrer », murmure-t-on dans le monde des communicants. Et s’il ne le rencontre pas à Alger, pendant sa visite officielle, ce sera en Italie, où un rendez-vous a été pris pour le 11 décembre. C’est un minimum pour un homme qui va mettre 400 millions de dollars pour « sauver » les aciéries Luccini, à Piombino. Un investissement d’un milliard de dollars est prévu, ce qui mérite bien quelques honneurs et un peu de reconnaissance pour cet homme qui « veut faire de Piombino une star de la Méditerranée ».

Auparavant, il avait « sauvé » le groupe Fagor-Brandt, un des fleurons de l’électroménager, en difficulté en France. Il avait aussi racheté l’entreprise française de menuiserie en PVC Oxxo. Pour le premier, Cevital rachète des brevets par milliers, ainsi que des marques prestigieuses. Pour le second, c’est le savoir-faire, à transférer pour l’usine de Bordj Bou-Arriredj, en construction. Quant aux aciéries Luccini, elles offrent une plateforme de développement pour un tas d’activités, et une porte vers la Méditerranée.

Autonomie

Comment financer tout cela ? Par les entreprises que possédait M. Rebrab à l’étranger avant même la création de Cevital, et grâce à la vente de ses parts dans Djezzy, assure le groupe. Ce qui élimine tout favoritisme, et exclut l’idée de transferts informel. Avec ce « trésor de guerre », selon la formule de M. Rebrab, le groupe peut même se passer de la banque d’Algérie, qui lui refusaient le transfert d’argent à l’étranger.

Cevital affiche ainsi sa capacité à se passer du concours de l’Etat algérien dans sa conquête de l’international, où la crise offre des opportunités exceptionnelles. Il suffit de se baisser pour ramasser la mise. Ce qui révèle une manière d’opérer totalement différente de celle des autres grandes entreprises qui prétendent régenter la vie économique en Algérie.

Car pendant ce temps, le FCE et la Chambre de commerce et d’industrie, dirigés par M. Haddad et Laïd Benamor, commencent à imposer les nouvelles règles des cercles qui s’imposent à la décision économique. Après avoir financé la campagne du quatrième mandat, en concertation avec M. Saïd Bouteflika, ceux-ci affichent leurs intentions. « Travailler étroitement avec les autorités publiques », pour M. Ali Haddad, « se rapprocher des pouvoirs publics pour proposer des solutions », pour M. Benamor.

Proximité du pouvoir

Ceux-ci peuvent se vanter de leur proximité avec les cercles de Saïd Bouteflika, ce qui constitue une garantie de prospérité. Ali Haddad ne s’en cache pas. Il revendique publiquement cette amitié. Mais en 2014, pour prendre la tête du FCE, il était candidat unique, signe que la modernité n’a pas encore traversé les rangs du FCE.

A l’inverser, Issaad Rebrab, qui pèserait près de cinq milliards de dollars de chiffres d’affaires, veut apparaitre comme l’homme moderne, ayant recours au marché ou à ses fonds propres pour financer ses projets. C’est ce qu’il va faire aussi bien pour ses acquisitions en Europe que pour le projet de cimentaire de Khroub, une usine qui produira quatre millions de tonnes par an.

Pas de faveurs de la part de l’Etat, répète son entourage. Mais sur ce terrain, il est difficile de présenter un casier judiciaire vierge en Algérie. Le ministre de l’Industrie, Abdelouahab Bouchouareb, l’a d’ailleurs rappelé, dans une sortie remarquée. M. Rebrab n’aurait jamais atteint la dimension qui est la sienne sans un accompagnement du pouvoir. Un doux euphémisme pour rappeler que le patron de Cevital a largement tiré profit de sa proximité avec le pouvoir politique à ses débuts, une période sur laquelle M. Rebrab veut tourner la page.

Dans le monde algérien des affaires, Issaad Rebrab accentue son avance

L’homme d’affaires Issaad Rebrab s’est déployé à l’international, prenant une envergure qui lui donne une longueur d’avance sur les autres chefs d’entreprises algériens.

Abed Charef

Pendant que Ali Haddad et Laïd Benamor découvrent les fastes du pouvoir, en s’installant comme nouveaux ténors du patronat algérien, Issaad Rebrab s’affiche dans une autre dimension, en se plaçant résolument à l’internationale pour donner l’image de l’homme d’affaires de grande envergure qui appartient à un autre monde. Bousculé dans les petits jeux de pouvoir par de jeunes loups avides de se faire une place, le patron de Cevital change de look, pour imposer cette nouvelle image, soigneusement élaborée par une communication efficace : M. Rebrab joue désormais dans la cour des grands, à l’internationale, et ne s’intéresse plus aux petits jeux des coulisses du microcosme qui gravite autour de Saïd Bouteflika.

Quand les autres parlent de millions de dollars, Rebrab parle de milliards. Quand les autres se bousculent pour un marché à Alger ou un contrat à Sétif, lui parle des grandes places financières internationales, Paris, Milan, et aussi de ce vaste chantier que va constituer l’Afrique.

En octobre, M. Rebrab était reçu à l’Elysée avec les grands patrons de ce monde, ceux de Samsung et de Volvo, la crème des entreprises mondiales. Il apparait plus familier de Microsoft et Sony que l’ETRHB. Il avance des idées pour relancer l’économie mondiale, pour relancer l’attractivité de l’économie française, lui dont les idées et les propositions sont ignorées ou combattues en Algérie, où l’économie est totalement sclérosée par la rente.

Déploiement à l’international

Mais s’il a des difficultés à être reçu à Alger, mais c’est le premier ministre italien Matteo Renzi, qui « demande à le rencontrer », murmure-t-on dans le monde des communicants. Et s’il ne le rencontre pas à Alger, pendant sa visite officielle, ce sera en Italie, où un rendez-vous a été pris pour le 11 décembre. C’est un minimum pour un homme qui va mettre 400 millions de dollars pour « sauver » les aciéries Luccini, à Piombino. Un investissement d’un milliard de dollars est prévu, ce qui mérite bien quelques honneurs et un peu de reconnaissance pour cet homme qui « veut faire de Piombino une star de la Méditerranée ».

Auparavant, il avait « sauvé » le groupe Fagor-Brandt, un des fleurons de l’électroménager, en difficulté en France. Il avait aussi racheté l’entreprise française de menuiserie en PVC Oxxo. Pour le premier, Cevital rachète des brevets par milliers, ainsi que des marques prestigieuses. Pour le second, c’est le savoir-faire, à transférer pour l’usine de Bordj Bou-Arriredj, en construction. Quant aux aciéries Luccini, elles offrent une plateforme de développement pour un tas d’activités, et une porte vers la Méditerranée.

Autonomie

Comment financer tout cela ? Par les entreprises que possédait M. Rebrab à l’étranger avant même la création de Cevital, et grâce à la vente de ses parts dans Djezzy, assure le groupe. Ce qui élimine tout favoritisme, et exclut l’idée de transferts informel. Avec ce « trésor de guerre », selon la formule de M. Rebrab, le groupe peut même se passer de la banque d’Algérie, qui lui refusaient le transfert d’argent à l’étranger.

Cevital affiche ainsi sa capacité à se passer du concours de l’Etat algérien dans sa conquête de l’international, où la crise offre des opportunités exceptionnelles. Il suffit de se baisser pour ramasser la mise. Ce qui révèle une manière d’opérer totalement différente de celle des autres grandes entreprises qui prétendent régenter la vie économique en Algérie.

Car pendant ce temps, le FCE et la Chambre de commerce et d’industrie, dirigés par M. Haddad et Laïd Benamor, commencent à imposer les nouvelles règles des cercles qui s’imposent à la décision économique. Après avoir financé la campagne du quatrième mandat, en concertation avec M. Saïd Bouteflika, ceux-ci affichent leurs intentions. « Travailler étroitement avec les autorités publiques », pour M. Ali Haddad, « se rapprocher des pouvoirs publics pour proposer des solutions », pour M. Benamor.

Proximité du pouvoir

Ceux-ci peuvent se vanter de leur proximité avec les cercles de Saïd Bouteflika, ce qui constitue une garantie de prospérité. Ali Haddad ne s’en cache pas. Il revendique publiquement cette amitié. Mais en 2014, pour prendre la tête du FCE, il était candidat unique, signe que la modernité n’a pas encore traversé les rangs du FCE.

A l’inverser, Issaad Rebrab, qui pèserait près de dix milliards de dollars de chiffres d’affaires, veut apparaitre comme l’homme moderne, ayant recours au marché ou à ses fonds propres pour financer ses projets. C’est ce qu’il va faire aussi bien pour ses acquisitions en Europe que pour le projet de cimentaire de Khroub, une usine qui produira quatre millions de tonnes par an.

Pas de faveurs de la part de l’Etat, répète son entourage. Mais sur ce terrain, il est difficile de présenter un casier judiciaire vierge en Algérie. Le ministre de l’Industrie, Abdelouahab Bouchouareb, l’a d’ailleurs rappelé, dans une sortie remarquée. M. Rebrab n’aurait jamais atteint la dimension qui est la sienne sans un accompagnement du pouvoir. Un doux euphémisme pour rappeler que le patron de Cevital a largement tiré profit de sa proximité avec le pouvoir politique à ses débuts, une période sur laquelle M. Rebrab veut tourner la page.

Qui peut rappeler à l’ordre Gaïd Salah ?

Le général Gaïd Salah a rappelé l’opposition à l’ordre. Mais qui peut rappeler à l’ordre un général, ami du président de la République?

Abed Charef (Le Quotidien d’Oran, 4 décembre 2014)

Le général Gaïd Salah a brutalement mis à un terme à une histoire qui commençait à prendre de l’ampleur, celle d’une possible élection présidentielle anticipée, qui permettrait de débloquer une situation désespérément figée. En déclarant, cette semaine, que l’élection du président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat a été crédible, « transparente », qu’il était hors de question de la remettre en cause, et que l’armée ne permettrait pas de sortie de route, le vice-ministre de la défense a ramené tout le monde au réel, dans un pays où la politique fiction est un art très développé. Il s’est même montré menaçant, en accusant certains opposants de vouloir utiliser la rue, tout en leur reprochant vaguement de s’appuyer sur l’étranger.

A une opposition impatiente, il a rappelé qui décide dans le pays, qui tient les commandes, et qui donne le la. Une manière de rejeter, globalement et dans le détail, toutes les initiatives de l’opposition, et de dire que l’Algérie n’est toujours pas normalisée : le pays n’est pas encore entré dans un fonctionnement institutionnel où les pouvoirs sont séparés et les fonctions, avec leurs responsabilités, clairement établies.

Mais quel Gaïd Salah a parlé en fait? Est-ce le vice-ministre de la défense, ou est-ce le chef d’état-major de l’armée? Dans un pays normal, le chef d’état-major a un rôle opérationnel et technique. Il accède à ce poste grâce à sa technicité, même si la proximité avec les dirigeants politiques joue un rôle important. Mais c’est un responsable qui n’intervient pas dans les choix politiques du pays. Il a un rôle très délicat, et à ce titre, toutes les institutions et tous les responsables politiques tentent de le protéger, en raison du caractère sensible et de la nature de son travail.

L’armée appartient aussi à l’opposition

Par contre, le vice-ministre de la défense est un homme politique comme les autres. Membre du gouvernement, il est supposé élaborer et exécuter une politique de défense au sein du gouvernement. En Algérie, il fait partie du gouvernement de M. Abdelmalek Sellal. Non, ce n’est pas de l’humour. Il est réellement chargé de faire des choix en matière de défense, dans le cadre d’un gouvernement supposé appliquer une politique étrangère, et dont les armées constituent un instrument privilégié.

Cette fonction ne lui permet pas de disposer de l’armée pour la mettre au service d’un pouvoir. L’armée applique la politique du gouvernement, certes, mais elle est aussi l’armée de l’opposition. C’est l’armée de la république, et elle n’a pas pour mission de soutenir un pouvoir, ni de lui servir de base politique. Elle n’a pas pour vocation de soutenir les uns, ni de contrer les autres.

Le ministre Gaïd Salah a le droit de soutenir le président Bouteflika, de constituer un comité de soutien et de faire campagne pour lui. Il a même le droit de co-présider ce comité avec M. Amar Saadani, et d’organiser des meetings en compagnie de MM. Amar Ghoul et Amara Benyounès. A condition de quitter sa tenue de militaire. Par contre, le chef d’état-major Gaïd Salah, lui, ne peut agir de la même manière, car il violerait le principe selon lequel l’armée, comme la loi, est au-dessus de tous. Ce sont des principes répétés par Gaïd Salah lui-même quand cela lui convient, quand des opposants demandent à l’armée de débloquer la situation, par exemple. Gaïd Salah leur rétorque alors que l’institution n’a pas à s’immiscer en politique…

Pouvoir fort

Il était question de Gaïd Salah et de l’armée, et de leur poids dans la vie politique. Mais ce dysfonctionnement s’étend à la plupart des institutions du pays. L’administration, par exemple, a oublié l’impartialité qui doit être la sienne. Elle s’estime naturellement mobilisée pour soutenir le pouvoir en place. Un wali constitue le prolongement du pouvoir, non celui  de l’Etat. C’est lui-même qui coordonne discrètement la campagne du président de la république au niveau local. L’un d’eux, devenu plus tard ministre, a déclaré publiquement, au cours d’une campagne électorale, qu’il serait malheureux de voir que le président Bouteflika obtienne moins de 80% des voix dans « sa wilaya ».

Comme Gaïd Salah, les walis ne se sentent pas tenus par la loi. Pour eux, le plus important est de montrer leur aptitude à servir le pouvoir, ou à l’exercer au profit d’une cause qui est la leur, non de faire fonctionner l’administration. L’expérience de beaucoup d’entre eux leur montré que ce mode de gestion n’est pas efficace, mais ils s’y soumettent, avant de s’y habituer, pour finir par faire du zèle. Ils se laissent d’autant plus volontiers tenter que que dans un pays aussi figé que l’Algérie, les institutions tournent à vide. Elles ne servent à rien. Le conseil constitutionnel, le gouvernement, la présidence de la république, aucun centre de pouvoir ne joue correctement son rôle. Du moins de manière conforme à ce que dicte la constitution. Et quand le pouvoir n’est pas exercé par les  institutions légales, il est accaparé par d’autres cercles informels. Y compris quand ils ont portent une tenue, comme Gaïd Salah.

Une affaire de corruption éclabousse l’armée, Gaïd Salah parait visé

Le ministère algérien de la défense a démenti l’envoi d’une mission d’enquête en Russie. La spécialiste des questions de sécurité au quotidien El-Watan avait annoncé cette mission, ajoutant que du matériel militaire russe de mauvaise qualité a été fourni à l’Algérie.

Abed Charef (Sur maghrebemergent.info: http://bit.ly/15O6GIL)

Une nouvelle affaire de corruption, mêlant cette fois-ci l’armée et ses fournisseurs russes, a été révélée mardi en Algérie, sur fond de luttes politiques aiguisées liées à l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika. Bien que tout fonctionne par les non-dits, c’est le chef de l’état-major de l’armée et vice-ministre de la défense, le général Gaïd Salah, qui a soutenu le président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat, qui semble visé cette fois-ci. Le ministère de la défense a d’ailleurs réagi dans l’après-midi pour démentir l’envoi d’une mission d’enquête en Russie.

Alors que le chef de l’Etat recevait le président du Conseil des ministres italien, Matteo Renzi, le ministère de la défense a démenti l’envoi d’une délégation militaire en Russie pour poursuivre les enquêtes liées à des accidents d’avion répétés. Ces accidents, au moins quinze, selon le quotidien El-Watan, ont fait plusieurs victimes parmi les pilotes de l’armée de l’air algérienne.

La spécialiste des questions de sécurité au quotidien El-Watan, Salima Tlemçani, avait rapporté, dans l’édition de mardi, qu’une « délégation d’officiers s’est rendue en Russie, pour discuter avec le constructeur des avions concernés par les accidents aériens. Jamais l’armée algérienne n’a subi autant de crashs que durant cette dernière décennie », rappelle la journaliste, qui énumère une série impressionnante d’accidents de bombardiers Mig et Sukhoi, d’hélicoptères et d’avions de transport militaire.

http://bit.ly/15NqPig

Deux officiers condamnés en 2006

Citant ses propres sources, la journaliste révèle que deux officiers supérieurs avaient été condamnés à des peines de prison en 2006 dans des affaires de corruption. L’article ne porte pas d’accusations précises, mais le ton général laisse entendre que du matériel militaire de mauvaise qualité aurait été livré à l’Algérie par des fournisseurs russes, contre le versement de commissions.

En 2006, un gros contrat de près de sept milliards de dollars avait été conclu avec la Russie pour notamment la fourniture d’avions de combat, dont des Mig 29 et des Sukhoi. « Les techniciens de l’aviation militaire ont émis de nombreuses réserves quant à la qualité des appareils. L’affaire a fait scandale et le contrat a été revu pour inclure d’autres avions plus performants », rappelle la journaliste. Elle fait aussi état de « lourdes interrogations sur les capacités techniques des équipements dont ils sont dotés ».

Des commissions d’enquête ont été mises sur pied après les deux derniers crashs, impliquant un Mig 25 et un Sukhoi 24. L’une est dirigée par un aviateur, la seconde par un officier de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), un service qui dépendait du DRS (services spéciaux), mais récemment passé sous le contrôle de l’état-major de l’armée, dans le cadre d’une lutte d’influence entre l’état-major, dirigé par Gaïd Salah, et le DRS, dirigé par Toufik Mediène, considéré comme hostile au maintien du président Bouteflika pour un quatrième mandat. De par sa fonction, le général Gaïd Salah est supposé chapeauter les opérations d’achats d’équipements militaires, particulièrement quand il s’agit de matériel aussi sensible.

Une enquête sur tous les marchés?

«Il est question de mener une enquête axée sur le volet technique des appareils qui se sont crashés, mais aussi sur l’ensemble des avions de la flotte, particulièrement les types touchés par les accidents», écrit la journaliste, qui cite ses propres sources, ajoutant qu’une délégation « formée par des membres des deux commissions s’est rendue en Russie et a été reçue par les dirigeants du constructeur russe Soukoï et Mikoyan-Gourevitch, ainsi que par de hauts responsables du ministère de la Défense » russe.

Le ministère de la défense a réagi, pour démentir l’envoi de ces commissions en Russie.

http://bit.ly/1yE8bCJ

Les enquêtes en cours « sont menées exclusivement par des spécialistes algériens », affirme un communiqué du ministère de la défense publié par l’agence APS, démentant « catégoriquement » tout envoi de délégation militaire en Russie.

Le ministère minimise la portée des accidents enregistrés, affirmant qu’ils « « surviennent dans toutes les armées du monde ». « Nos forces aériennes appliquent un programme consistant et rigoureux de préparation au combat, nécessitant des vols fréquents d’entraînement et de préparation, exécutés de jour et de nuit, ce qui pourrait provoquer la survenance de tels accidents », affirme le communiqué pour expliquer la fréquence des accidents.